Les Français renouent avec le vert et les jardineries voient la vie en rose
Une croissance comme l'industrie n'a jamais vu auparavant! Tout y a contribué : le besoin de nature après le confinement, l'achat de résidences secondaires et, en toile de fond, les aspirations écologiques
Au lendemain du week-end de l'Ascension à Bastille, la section des plantes d'extérieur de Truffaut s'est affamée. "Désolé, ce n'est pas très gentil, ils m'ont volé", a déclaré le manager Quentin Taudon. "Ils"? Cafetières et restaurateurs, bien sûr ! L'arrêté d'ouverture des terrasses à peine sorti, ils se sont précipités comme une nuée de criquets sur les jardineries, emportant des poubelles de 200 litres, des sacs de terreau, des lauriers roses, des choisyas et toutes les plantes résistantes au soleil et à la pollution. . « J'ai fait le nombre de plein soleil quand il a plu tout le week-end », souffle le manager en souriant.
Comme tous les propriétaires de jardineries, il a quelque chose à célébrer. Car les cafetières ne sont pas les seules en ce moment à pratiquer le raid. Il aura suffi d'un long confinement pour que les Français retrouvent un amour immodéré pour la nature. En juin 2020, 67% d'entre eux déclaraient dans une étude OpinionWay vouloir consacrer plus de temps à l'entretien de leur jardin, de leur potager ou de leurs plantes. Cela tombe bien, ils sont 78% à avoir un coin de verdure. Sans parler de tous ceux qui se sont mis en quête d'une maison à la campagne. Beaucoup l'ont retrouvé depuis.
Et les guichets de Promojardin, l'organisme chargé de collecter les chiffres de la profession, sont en état de panique. Au Conseil Chauffage, le marché du jardin – des plantes, mais aussi des outils et équipements divers – a progressé de 10 % en 2020, soit l'équivalent de cinq années de croissance ! Bien entendu, ces beaux résultats cachent un parcours en montagnes russes entre les -60% en mars et les +38% en juin. Mais cela continue encore plus fort sur les cinq premiers mois de 2021, avec des pics de + 20 % à + 30 % selon les marques. "Il se passe quelque chose de magique, un engouement inédit", s'émerveille Mikaël Mercier, président de Val'hor, l'interprofession française de l'horticulture, de la fleuristerie et du paysage.
Dans le détail, nos compatriotes se sont enthousiasmés pour les plates-bandes, les plants de tomates ou de basilic. Mais aussi pour les poules ou les ruches, dans l'espoir de faire leur propre miel. « Pour certains, le potager est un moyen peu coûteux de se nourrir tout en économisant environ un SMIC par an, pour d'autres, il occupe les enfants de manière ludique et pédagogique », observe Christophe Thibault, de la coopérative Fleuron d'Anjou. Interdits de sortir, beaucoup ont aussi eu le temps et l'argent pour aménager leur pelouse et s'offrir des piscines ou des transats, dont les ventes ont augmenté de 30 et 24 %. Enfin, les personnes seules seules avec leur chat ou leur chien les considèrent plus que jamais comme un membre de la famille (voir encadré). « J'ai vendu un nombre incalculable de ces arbres à chat », s'amuse un vendeur de Gamm vert de Fressenneville (Somme).
Dans un premier temps, c'est le rayon jardin des grandes surfaces de bricolage et de la distribution alimentaire (leurs ventes quadruplent), resté ouvert toute l'année, qui en profite le plus. « Nous avons dû nous battre pour faire reconnaître les plantes potagères d'abord puis toutes les plantes comme produits essentiels », explique Mikaël Mercier, qui plaide toujours contre la fermeture partielle ou totale des rayons depuis trois mois.
Les Gamm vert, Jardiland (toutes deux propriétés du groupe coopératif InVivo) Truffaut et Botanic ont également eu du mal à profiter de la croissance de 40 % du e-commerce, eux qui ne réalisent pas plus de 1 à 2 % de leurs ventes en ligne. « Aucune de nos 80 coopératives n'a le même système informatique, nous sommes en train de tout standardiser », explique Jérôme Oger, l'un des grands franchisés Gamm vert. C'est, du coup, un pure player de la plante en ligne, Promesse de fleurs, qui prend la parole, avec un bond de son chiffre d'affaires de 85 % sur un an, à 11 millions d'euros. Et, bien sûr, les grands bricoleurs comme Leroy Merlin ou Bricomarché.
Face à ces opportunités incroyables, mais aussi à cette concurrence accrue, le secteur accélère sa transformation. Les enseignes testent de nouveaux concepts et souhaitent sillonner la France pour être au plus près des consommateurs et rattraper la bonne avance de Gamm vert et de ses 1 193 magasins. Cette enseigne, propriété de la coopérative semencière InVivo, teste elle-même un nouvel aménagement pour son village 300 Gamm vert, petits formats ruraux de proximité. Bienvenue à Blangy-sur-Bresle, en Seine-Maritime, l'un des quatre testés.
Le mobilier a été resserré pour accueillir 2 800 articles sur 300 mètres carrés et pas moins de 22 têtes de gondole devant et derrière les étagères pour favoriser l'achat d'impulsion. "Semences, outils, vêtements de jardin, vous avez l'essentiel et de nouveaux produits locaux, comme cette bière locale, qui ont vraiment du succès", explique Gaylord, le gérant. Ici, la moyenne d'âge est supérieure à 60 ans et la plupart des ventes se font avec des sacs de 20 kg de mélange blé-lin pour nourrir la basse-cour.
Rien à voir avec Truffaut qui part à la conquête des bobos urbains avec ses petits formats au cœur des grandes villes. Après Boulogne, Toulouse et Bordeaux, elle a ouvert ses portes au cœur de Paris, à Bastille, et vient même de reprendre les 150 mètres carrés du rayon jardinage du BHV. « Ce concept de « Truffaut hors les murs » pourrait demain se dupliquer sous forme de corners dans une chaîne de supermarchés alimentaires », souffle le président de l'enseigne, Gilles Mollard. Dans ce micro-jardin, on retrouve un condensé de la gamme haut de gamme de la marque bicentenaire : des plantes géantes comme cette areca de 5 mètres à 2 800 euros pièce. "Oui, il trouve preneur", répond le vendeur, moulé dans son tablier vert. Mais aussi des outils en bois brut garantis à vie de la maison Devaux. Ou, plus surprenant, des arroseurs et tout un mur de graines. « Beaucoup de nos clients achètent pour leurs maisons de campagne », souffle notre conseiller.
A côté de ces petits formats de centre-ville, Truffaut veut conquérir avec ses grands magasins des régions où il n'est pas encore présent, comme le Pays Basque ou la Côte d'Azur, y compris en franchise. Quant à Botanic, il ambitionne de doubler son parc de 70 jardineries – avec un chiffre d'affaires de 4 à 5 millions d'euros chacune – en rachetant des indépendants de même taille.
Dans leurs petits et grands magasins, tous bousculent leur offre pour attirer de nouveaux jardiniers, bien plus nombreux que les années précédentes. Réunion Zoom oblige, la plante verte est devenue un élément décoratif de la toile de fond du salon. Truffaut l'a compris et propose plus de 20 sortes de calathées, ces plantes très graphiques à pois blancs ou à stries noires. « On les présente dans de beaux pots pour créer l'achat complémentaire », souffle un vendeur. Pour aider les mains pas toujours vertes des Parisiens, hortensias et dipladénias sont ici présentés dans de beaux volumes et déjà fleuris. Chez Botanic, nous avons même défini un espace appelé « fleurs faciles » dans la serre pour chasser toute peur des nouveaux arrivants. « Les terrariums qui ne nécessitent aucun entretien fonctionnent aussi très bien », explique le président de la marque savoyarde, Luc Blanchet, devant une pile de pots prêts pour la fête des mères.
Côté Gamm vert et Jardiland (racheté par InVivo en 2017), nous travaillons sur un outil pour mieux faire évoluer l'offre en fonction de la météo ou des tendances, un peu comme dans la mode. « Cela nous permettra d'être plus réactifs dans la communication via le Web et les radios locales », explique Guillaume Darrasse, PDG d'InVivo Retail. Tous proposent de plus en plus de conseils sur leurs sites internet, comme Flower Promise, qui publie 1 200 articles par an. « Cela crée une première relation avec le client et nous ramène gratuitement en haut des pages Google », explique Pascal Griot, fondateur du site.
Comme en food, le made in France est aussi à l'honneur. Selon une étude Kantar, 71% des acheteurs de plantes y sont sensibles et 76% d'entre eux le sont encore plus depuis la crise sanitaire. Qu'à cela ne tienne, les drapeaux bleu, blanc et rouge surgissent partout sur les pots, les barbecues et jusqu'aux tuyaux d'arrosage. Gamm vert a même annoncé fin 2020 vouloir passer de 65 à 90 % de plantes fabriquées en France d'ici 2025. Un vœu difficile à réaliser sur les plantes d'intérieur, car toutes sont fournies depuis des années en Hollande, où le les normes et les conditions de production sous serre offrent des prix 30% inférieurs.
Désormais, c'est donc la course entre marques pour sauver la filière française des plantes d'extérieur, en signant des contrats de trois à cinq ans avec des horticulteurs. InVivo veut passer de 25 à 50 % de son chiffre d'affaires sous contrat d'ici cinq ans. Truffaut et surtout Botanic ont une longueur d'avance. Les producteurs se réjouissent. « J'ai sécurisé 40 % de mes arbres contre 20 % il y a trois ans, le pouvoir semble se rééquilibrer en notre faveur », s'exclame le producteur Arnaud Crosnier au milieu de ses arbres fruitiers du Loiret.
Le besoin d'écologie se retrouve aussi partout. Dans l'engouement du "faites-le vous-même", bien sûr. Comme ce Gamm vert de Fressenneville qui a vendu plus de 4000 poussins en trois mois. Jamais vu. "Les gens ont le temps de jeter leurs épluchures sur les poulets maintenant qu'ils sont en télétravail", s'amuse le vendeur. Le bio est également à l'honneur. Marginal il y a trois ans, il représente un tiers des plants de potager, à Promesse de fleurs par exemple. Et 100% chez Botanic. Les clients sont également plus réceptifs aux produits innovants qui contribuent au respect de la nature. Comme ce piège à moustiques Biogents à 165 euros, qui mime les odeurs corporelles avec de l'acide lactique : 30 000 pièces vendues cette année malgré son prix. Ou la solution d'arrosage automatique solaire AquaBloom de Gardena. Parmi ces produits, comme pour tout ce qui va dans le sens de l'écologie, Botanic est le plus avancé. Ici, les fournisseurs de planchas sont tous français, pour parcourir moins de kilomètres, et ceux des usines doivent respecter un cahier des charges très strict. « On leur demande de lutter contre les thrips (un parasite, NDLR) des poinsettias avec des nématodes (autres insectes), avant la solution phytosanitaire », résume Luc Blanchet.
Bien sûr, en ces temps de crise et face à des grands distributeurs plus agressifs, les marques sont aussi très attentives au prix, ou plutôt au rapport qualité/prix. Gamm vert le premier. Il est déjà en moyenne 10% moins cher que ses concurrents. Et, depuis un an, elle met en œuvre un plan top secret pour devenir le Décathlon de la jardinerie. En effet, les anciens de Tribord et Quechua ont conseillé les équipes marketing. L'idée? Sortir de la simple MDD Gamm vert pour créer, comme pour les équipements sportifs, quatre marques propres pour quatre profils de consommateurs : autoproducteurs, locavores, amoureux des animaux et décorateurs. « Nous voulons augmenter les ventes en créant des produits vraiment innovants, explique Guillaume Darrasse. Un peu à l'image du masque de snorkeling Easybreath, best-seller de Decathlon, ses équipes travaillent par exemple sur des pots intelligents qui éviteront les excès d'arrosage. Tous les produits devront apporter un vrai plus aux clients. Par exemple, il n'y aura pas de tomates cœur de bœuf de marque propre, car le succès de sa culture est trop incertain. Au Conseil Chauffage, les marques InVivo devraient vendre 1 produit à marque propre sur 2 d'ici cinq ans, contre 15 % aujourd'hui. « On va écraser le marché, par exemple avec une orchidée estampillée RSE dans un bocal biodégradable à 9 euros au lieu de 15 », s'anime Jérôme Oger.
Bien entendu, le projet resserre les relations avec les horticulteurs, qui craignent ce nouveau rapport de force. En ajoutant Gamm vert, Jardiland, Delbard et une centaine d'affiliés indépendants, InVivo représente à lui seul plus de la moitié des achats de la jardinerie. Elle vient même de conclure une alliance avec le réseau des 70 Villaverde. Demain, son cahier des charges sera plus exigeant. Et le groupe souhaite également créer sa propre plateforme logistique pour les plantes, qui remplacera le système actuel de livraison à chaque magasin par des horticulteurs locaux. « Ils veulent nous imposer à la hauteur du type de pot ou de terreau et beaucoup craignent de baisser les prix », explique Mickaël Mercier. « Nous voulons conserver notre richesse variétale, alors que les marques propres vont à l'encontre de notre indépendance », poursuit Marie Levaux, présidente de la Fédération nationale des producteurs horticoles et pépiniéristes (FNPHP), qui travaille sur une logistique partagée parallèlement à celle d'InVivo. .
Signe de la tension, le groupe vient de faire appel à un médiateur pour faciliter les relations entre ses acheteurs et ses fournisseurs. Les producteurs de fleurs, d'outils et de pots ont d'autant plus de soucis à se faire que les autres marques, Truffaut et Botanic, mettent également à l'honneur leurs propres marques.
Cette année et l'année prochaine, tout le monde devra encore faire face à une très forte pression sur les approvisionnements. Côté végétal, les gens ont tellement acheté que les taux d'échec frôlent les 50 %. Les plantes ornementales comme les camélias et les rhododendrons manquent, tout comme les arbres fruitiers, ratiboisé ! "Nous n'en avons eu aucun à partir de janvier, alors que nous tenons habituellement jusqu'en mars", déplore Arnaud Crosnier, producteur du Loiret. Plus largement, le bois, l'acier et le plastique sont victimes de l'envolée de la demande mondiale. Et la crise des conteneurs chinois, dont le prix a quadruplé depuis fin 2020, n'arrange pas les choses. Les acquéreurs de maisons de campagne neuves devront donc attendre leurs clôtures, terrasse ou pergola. Même les paysagistes sont débordés. "Nos carnets de commandes sont pleins à six mois en moyenne", a déclaré le président du Syndicat national des entreprises du paysage, Laurent Bizot. Bref, une bonne nouvelle.
Nombres
En 2020, le marché du jardin a progressé de 10 %, soit l'équivalent de cinq années de croissance (source Promojardin) :
+ 13% pour les plantes potagères (tomates, fines herbes, etc.)
+ 17 % pour les loisirs du jardin (mobilier, barbecue, jeux extérieurs)
+ 14 % pour les produits horticoles (engrais, terreau, etc.)
+ 14 % pour les équipements (outils, arrosage, piquets, vêtements, etc.)
+ 30% de ventes de piscines en 2020
+ 9% pour la basse-cour (plus que les chiens et chats)
+ 24% pour les ventes de transats et transats
Botanic se distingue par ses engagements écologiques
Cette entreprise savoyarde a été la première, il y a dix ans, à retirer les pesticides de ses rayons et à proposer du bio, de la fourchette (plantes potagères) à la fourchette, via des mini-marchés alimentaires de 300 mètres carrés à l'intérieur de ses magasins. Elle a lancé l'an dernier la première filière de recyclage des pots plastiques en partenariat avec Veolia et commercialise les nouveaux pots 100 % recyclés. Ici, la plupart des plantes sont certifiées MPS ou Plante Bleue, labels qui garantissent la réduction des intrants comme l'eau, la tourbe ou le besoin de chauffage des serres. En février, elle est devenue une « entreprise à mission », la principale étant le respect de la nature.
Le département pet care des jardineries est dépassé par les réseaux spécialisés
Les 76 millions d'animaux de compagnie ont été l'autre bouffée de bien-être des Français en cette année de confinement. Le marché bondit de 6 %, dépassant les 5 milliards d'euros, tiré par la basse-cour (+ 9 %) qui accélère pour la première fois plus vite que les chiens et chats (+ 6 et 8 %) auxquels les jardineries consacrent en moyenne un quart de leur espace et de leurs ventes. Par exemple, il y a un choix de 250 laisses au Jardiland d'Amiens, où les propriétaires de toutous peuvent les laver pour 9 euros les 20 minutes, serviette incluse. Mais ils sont délaissés par les animaleries comme Maxi Zoo et les sites internet (Zooplus, Zoomalia, Wanimo) à des prix plus attractifs.
Ces produits qui ont décollé pendant dix-huit mois
Hormis les fleurs coupées et les plantes d'intérieur, toutes les catégories de produits ont connu des ventes exceptionnelles au cours des dix-huit derniers mois. Côté végétal, le must absolu est la base de tomate, suivie des herbes aromatiques et autres légumes. Les vivaces faciles à entretenir comme le pélargonium sont également très appréciées des jeunes. Et les succulentes, très graphiques, sont devenues les reines des rencontres Instagram et vidéo. Les pots suivent. Sur les cinq premiers mois de 2021, Truffaut a vendu 180 % de plus qu'en 2020 et 42 % de plus qu'en 2019. Les planchas ont été portées par des marques françaises comme Eno, Krampouz ou Le Marquier, et les piscines sont en rupture de stock partout, après avoir grandi 30% l'année dernière.