Le bois-énergie est-il une solution de la transition écologique ?
Publié le 20 mai 2021
Le bois énergie est-il une solution pour la transition écologique ? 3 experts de différents domaines répondent à la question simplement.
Depuis la préhistoire et jusqu'au développement du charbon de bois, le bois était la principale source d'énergie pour le chauffage et la cuisson des aliments. Le terme « bois énergie » désigne l'utilisation du bois comme combustible, pour produire de la chaleur et/ou de l'électricité après transformation. Il est aujourd'hui utilisé sous forme de bûches, de granulés ou de copeaux forestiers. Le bois énergie est une énergie renouvelable puisque les arbres coupés sont remplacés par de jeunes arbres. C'est la première source d'énergie renouvelable en France, devant l'hydraulique. La combustion du bois est-elle neutre en carbone ? Cela présente-t-il un risque pour la santé humaine ? Comment gérer une forêt de manière durable ? La filière bois française est-elle adaptée à la production de bois énergie ? Pour répondre à toutes ces questions, nous nous tournons vers trois professionnels de domaines différents. Chef de projet, chercheur, architecte : ils nous éclairent de leur domaine d'expertise.
Scarlett Boiardi est responsable des projets bois énergie et forêt au sein de FIBois IDF, l'interprofession qui regroupe les acteurs de la filière forêt-bois en Île-de-France. Il aide à l'émergence de projets de chauffage biomasse en Ile-de-France
Le bois énergie est la première source d'énergie renouvelable en France, avec près de 36 % de la production primaire totale d'énergie renouvelable. En 2019, ce secteur représentait environ 67 % de la chaleur renouvelable.
La France se fixe également des objectifs ambitieux pour le bois puisqu'elle prévoit d'augmenter la consommation de chaleur produite à partir de biomasse de 20 % d'ici 2023 et de 30 à 40 % d'ici 2028, par exemple. par rapport à 2017.
A noter que 16,9 millions d'hectares en France sont couverts de forêts, soit un tiers du territoire national. En absorbant le dioxyde de carbone (CO2) par photosynthèse, les forêts et l'industrie du bois représentent aujourd'hui un puits de carbone estimé à environ 130 millions de tonnes équivalent CO2, soit près du quart des émissions de gaz à effet de serre. serre annuelle en France. Séquestration et stockage du carbone, substitution d'énergies ou de matériaux plus intensifs en carbone, ce sont de véritables services rendus par l'ensemble de la filière forêt-bois. Concernant le bois énergie, le bois énergie remplace les combustibles plus émetteurs de gaz à effet de serre (charbon, pétrole, gaz…). La consommation d'énergies fossiles étant la première source d'émission de CO2, le bois-énergie est un levier essentiel pour atteindre la neutralité carbone du territoire, tout en garantissant le respect des exigences de qualité du territoire. 'air.
Cette neutralité du bois de feu n'est possible que dans le cadre d'une exploitation forestière durable et multifonctionnelle, avec l'utilisation du bois en circuits courts qui privilégie l'utilisation du bois comme matériau. Plus précisément, la gestion forestière et les différentes opérations sylvicoles nécessaires à la production de bois de qualité conduisent à une exploitation forestière en forêt, appelée « éclaircie ». Les premières éclaircies n'étant pas utilisables pour la construction en raison du faible diamètre du bois coupé, une partie est laissée au sol et assure la fertilité du substrat forestier en se décomposant, le reste est utilisé comme bois de chauffage. Ainsi, en moyenne, sur toute la durée d'exploitation d'une parcelle, la production de 1m3 de bois conduit à la production de 1m3 de bois de feu. En plus d'être un combustible économiquement avantageux pour les particuliers, le bois de feu est un complément indispensable à l'économie forestière, et un outil de gestion sylvicole.
C'est aussi un levier pour le développement économique du territoire. En effet, le bois énergie nécessite trois fois plus de main d'œuvre que les énergies concurrentes. En France, la filière bois énergie compte environ 40 000 emplois directs et indirects auxquels s'ajoutent entre 20 000 et 30 000 emplois informels (liés aux volumes de grumes de bois non commercialisées). Faire appel à la filière bois permet ainsi à l'industrie forestière locale de travailler.
Le bois énergie est utilisé par les particuliers dans les cheminées à foyer ouvert, les inserts et les chaudières à bois ou par les collectivités et les industriels dans les chaudières biomasse. On dénombre environ 7,5 millions de foyers équipés d'appareils à bois et environ 400 000 foyers raccordés à un réseau de chaleur alimenté par des chaudières à biomasse. Au Conseil Chauffage, la France compte plus de 7 000 installations biomasse de plus de 50 kW.
Si la question de la qualité de l'air est un enjeu concernant le chauffage domestique au bois, qui émet notamment des particules fines, ces émissions ont été réduites ces dernières années grâce au renouvellement des équipements avec des appareils performants (comme ceux labellisés Flamme). Vert) et l'utilisation de bois de qualité (sec, écorcé et fendu) issu d'une démarche qualité comme France Bois Bûche… En effet, 50% des équipements non performants, avant 2002, émettent 80% de particules fines issues du chauffage au bois En France. Ces démarches doivent être poursuivies afin de se conformer aux exigences européennes en matière de qualité de l'air. Le bois énergie présente de nombreux avantages : indépendance énergétique, substitution aux énergies fossiles, économie circulaire, création d'emplois non délocalisables, utilisation durable de la forêt, combustible économique… C'est une filière qui a l'avantage de s'appuyer sur des ressources locales, et qui constitue ainsi un levier de transition écologique pertinent à développer dans les espaces forestiers, en complémentarité avec les autres énergies renouvelables disponibles sur le territoire.
Jean-François Dhôte est directeur de recherche à l'INRAE à Orléans. Il est spécialisé dans la gestion durable des ressources forestières et leur transformation actuelle liée au changement climatique.
Le bois peut fournir de l'énergie par différents procédés : chaleur, électricité (par cogénération), biogaz, biocarburants. Même si ces procédés à base de bois peuvent être moins efficaces que leurs concurrents fossiles en termes d'émissions de gaz à effet de serre par unité d'énergie produite, le bois-énergie issu d'une forêt gérée durablement est généralement considéré comme neutre en carbone. , contrairement aux combustibles fossiles.
Ce qui rend la combustion du bois neutre, c'est qu'il est issu d'une récolte régulée pour assurer un rendement soutenu (Commande de Brunoy, 1346). Ce constat s'applique aux résidus de bois brûlés après un ou plusieurs cycles en tant que matériau (utilisation en cascade), mais aussi (et on l'oublie souvent) au bois frais brûlé directement hors de la forêt.
L'aménagement forestier durable signifie que les coupes sont réglementées de manière à ce que l'état des forêts reste dans le temps conforme à une certaine norme sylvicole, quelle que soit l'option choisie pour la gestion des peuplements ( futaie régulière, taillis, systèmes irréguliers ). Dans chaque parcelle, les arbres ont à peu près le même âge et le même diamètre. Lors de la coupe d'une vieille parcelle, la perte de carbone que cela représente est compensée par ce qu'une jeune parcelle capte. Par conséquent, le stock de carbone est constant dans toute la forêt, à la fois dans les sols et dans les troncs.
Les jeunes forêts, où les vieux arbres ont été décimés par la maladie, par exemple, stockent beaucoup de carbone. Si on regarde tout un pays, on peut considérer qu'il y a des compensations entre les forêts qui stockent beaucoup de carbone et celles qui en stockent moins. Au niveau national, en raison de l'importance des forêts jeunes ou sous-exploitées, les résultats de cette compensation se traduisent par un stockage net de carbone, équivalent à 15 % de nos émissions nettes de GES. Par conséquent, même si nous émettons du carbone en brûlant du bois, une pratique de gestion durable garantit que ces émissions sont compensées en temps réel par le recrutement de bois similaires ailleurs dans la ressource forestière.
De plus, la forêt est un mode d'utilisation des terres particulièrement pauvre en intrants, qui fournit à la société un certain nombre de services écosystémiques précieux : biodiversité, habitats pour des espèces à grande valeur de conservation, eau de qualité, soutien à des usages récréatifs ou autres. valeurs patrimoniales et culturelles… La production de bois alimente une filière locale riche de quelque 400 000 emplois et offre le potentiel d'une activité industrielle généralisée dans les régions, tant à proximité des grandes concentrations urbaines que dans les zones rurales.
Enfin, l'utilisation du bois comme matériau induit des quantités importantes de sous-produits (sciures, chants, purges…) et de résidus de fin de vie, qui peuvent être valorisés sous forme d'énergie. Le débouché énergétique permet également de financer des travaux en forêt (éclaircie, renouvellement de forêts dégradées ou impasses) dont l'intérêt est vital compte tenu des risques émergents liés au réchauffement climatique. La production de bois-énergie, dans un cadre de gestion durable, contribue ainsi à l'utilisation efficace d'une ressource forestière renouvelable, polyvalente, sobre et riche en aménités pour la société.
Dominique Gauzin-Müller est architecte-chercheur, professeur d'architecture et membre du groupe d'experts indépendants de l'association Négawatts.
Si la ressource provient d'une utilisation durable de la forêt, le bois en bûches, granulés ou plaquettes a sa place dans un mix énergétique renouvelable pour une transition écologique ambitieuse.
Comme le prône l'association negaWatt (1), son utilisation aux côtés du solaire, de l'éolien, de l'hydraulique, du biogaz et de la géothermie doit cependant s'accompagner d'une forte réduction des besoins par la sobriété, grâce à des comportements moins gaspilleurs et à l'efficacité des systèmes techniques mis en œuvre.
La quatrième forêt d'Europe
La forêt couvre 31 % du territoire hexagonal. Sa superficie s'est agrandie au cours du siècle dernier, passant de 10 millions d'hectares en 1908 à 17 aujourd'hui. Avec une centaine d'essences dont environ 65 % de feuillus, il est plus diversifié que celui des autres pays européens. La forêt française bénéficie de la variété de nos milieux naturels et de leurs caractéristiques géologiques, climatiques et topographiques : zones côtières, de plaine ou de montagne à climat continental, océanique ou méditerranéen… Son écosystème est viable sans intervention humaine, mais le travail des forestiers vise de l'étendre, de préserver sa biodiversité et d'en tirer des ressources.
Pourquoi entretenir les forêts ?
En absorbant le carbone grâce à la photosynthèse, les arbres jouent un rôle central dans la lutte contre le changement climatique, mais ils sont aussi les premières victimes de ses effets secondaires : tempêtes, sécheresses, ravageurs, maladies, etc. Contrairement aux idées reçues, une forêt vieillissante et non entretenue , dans laquelle le bois s'accumule, est plus sensible aux perturbations. Lorsqu'elle est réalisée dans le cadre d'une gestion durable, la coupe est donc fondamentale pour préserver la santé d'une forêt et garantir son équilibre dans le temps. L'entretien des forêts réduit également les risques d'incendies et prévient les risques d'érosion dans les régions montagneuses.
Produire du bois
Les forêts ne sont pas abattues pour brûler du bois. Cela n'aurait aucun sens d'un point de vue écologique ou économique, encore moins de l'empreinte carbone ! Entre les grands arbres, qui seront un jour utilisés dans les bâtiments, poussent des spécimens plus chétifs ou tordus, qui se fanent et meurent. La valorisation de cette ressource bois-énergie permet d'entretenir la forêt, mais pas de la faire vivre. En Pays de la Loire par exemple, les copeaux forestiers sont vendus moins de 10 euros la tonne et les grumes entre 10 et 15 euros le mètre cube, tandis que le chêne de qualité peut dépasser les 1000 euros le mètre cube. L'objectif de la filière forestière est donc plutôt de produire du bois, dans le respect de la nature et de ses cycles.
Les usages du bois énergie
Dans les forêts françaises, environ 60% d'un arbre mature est utilisé pour le bois : son tronc est transformé en éléments de charpente, colombages, poutres de plancher, parquet, meubles, etc. Quant aux branches et cimes des cimes, elles sont utilisées dans la fabrication de papier ou de dérivés industriels et pour le bois de feu. Si 8,1 millions de mètres cubes sont commercialisés, la récolte des ménages pour leur consommation est estimée à 21,5 millions de mètres cubes(2). Le bois-énergie est donc largement issu d'une économie informelle basée sur la location. Le code forestier donne en effet à un conseil municipal la possibilité de réserver une partie du bois de la forêt communale à un usage domestique, et les particuliers peuvent collecter gratuitement du bois pour le chauffage et la cuisine. Les changements de mode de vie, l'urbanisation, le déclin de la population en milieu rural et la professionnalisation de la vente de grumes réduisent cependant cette pratique historique.
Sources de bois énergie
Le bois énergie est un sous-produit de la transformation industrielle des grumes : sciages, contreplaqués, panneaux de particules, etc. Il peut également provenir de l'entretien des forêts, des haies et des espaces verts urbains ou de la valorisation, en fin de cycle, des déchets de bois.
Il arrive aussi que les erreurs forestières et les conséquences du changement climatique conduisent à des coupes sanitaires, comme pour les sapins et les épicéas touchés par les scolytes dans l'Est de la France. Ces arbres malades, parfois difficiles à transformer en bois d'œuvre, peuvent être utilisés dans l'industrie ou comme combustible. Leur récolte est nécessaire pour planter de nouvelles espèces qui produiront du bois pour les générations à venir. La récolte de bois de feu dans des peuplements « pauvres » permet également de planter des arbres pour la production de bois d'œuvre. L'agroforesterie et la replantation de haies sont également impliquées dans la production de biomasse pour l'énergie, sous forme solide ou liquide.
Potentiel d'augmentation de la récolte
La récolte de bois en France est depuis des décennies notablement inférieure à l'augmentation biologique (environ 60 %). En 2015, l'IGN et FCBA ont réalisé une évaluation des disponibilités nationales à l'horizon 2035. D'après ce rapport, notre forêt pourrait supporter une augmentation d'environ 30 % de la récolte. Ce développement pourrait répondre à la fois à la demande croissante de bois de feuillus et à la demande de ressources industrielles et énergétiques. En raison de la faible proportion de conifères dans la forêt métropolitaine (environ 35 %), la disponibilité de bois d'œuvre résineux resterait inférieure à la demande attendue et les importations en provenance des pays scandinaves et germaniques se poursuivraient.
Valorisation économique du patrimoine forestier
Le Land autrichien du Vorarlberg, pionnier de la transition énergétique, est également réputé pour son architecture écologique en bois. Les 96 communes de cette petite région alpine disposent d'au moins une chaufferie bois avec réseau de chaleur. Ce développement contribue à une valorisation économique du patrimoine forestier, riche d'une ressource abondante et efficacement gérée.
La forêt française bénéficierait d'un tel modèle, mais il présente plusieurs handicaps. Il appartient majoritairement à des propriétaires privés (75%), le reste appartenant à l'Etat (9 % de forêts domaniales) et aux communes, collectivités locales ou établissements publics. De plus, la forêt hexagonale est très morcelée : un tiers de sa superficie est constitué de parcelles de moins de 25 hectares, ce qui rend leur exploitation très difficile.
La sensibilisation des petits propriétaires est un enjeu majeur. Des efforts sont indispensables pour que la récolte augmente en forêt privée et que les coupes se fassent partout dans de bonnes conditions. De plus, les agriculteurs doivent être sensibilisés à l'entretien du bosquet et de ses haies. Des machines performantes et le tri des produits d'élagage peuvent également contribuer à une meilleure valorisation des matériaux des parcs et jardins urbains.
Les scénarios négaWatt et Afterres2050
Pour produire de l'énergie, l'utilisation d'une ressource renouvelable comme le bois évite la consommation d'énergies fossiles. Plusieurs scénarios énergétiques montrent qu'il est possible en France d'atteindre une solution 100 % renouvelable d'ici 2050. Le bois y est principalement utilisé pour chauffer les bâtiments : poêles à bûches, pellets ou hybrides ; chaufferie centrale dans les bâtiments résidentiels ou tertiaires ; réseaux de chaleur. Le parc de poêles et cheminées existants doit également être remplacé par des appareils performants pour réduire les émissions de poussières.
Dans le mix énergétique primaire du quatrième scénario négaWatt, publié en 2017, la part du bois est supérieure à 20 %. Une partie est convertie par pyrogazéification et injectée dans le réseau de gaz naturel actuel. Le scénario Afterres2050 de l'association Solagro(3), un partenaire de negaWatt, fournit des détails détaillés sur ces sujets. La condition essentielle pour atteindre l'objectif ambitieux de ces analyses prospectives est l'implication individuelle pour réduire drastiquement les besoins et la rénovation énergétique rapide, massive et efficace du parc immobilier existant.
Frugalité joyeuse et créative
Comme la paille pour le blé, le bois de feu doit rester un sous-produit du bois d'œuvre. Et plus nous produisons de bois d'œuvre, plus il y aura de bois de feu provenant des produits d'éclaircissage et de transformation des grumes. Le développement du bois dans la construction est donc un facteur déterminant pour augmenter la récolte et rentabiliser l'utilisation du bois-énergie. Mais maîtriser l'énergie ne suffira pas !
La transition écologique nécessite une approche holistique, comme celle du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative en architecture et en aménagement des territoires urbains et ruraux(4). La frugalité commence par une bonne utilisation des terres, dans une optique de préservation du vivant. Le manifeste prône aussi la frugalité en énergie, matière et technicité : " La transition écologique et la lutte contre le changement climatique contribuent à l'utilisation prudente des ressources épuisables et à la préservation de la diversité biologique et culturelle pour une planète meilleure pour vivre. "
(1) https://negawatt.org
(2) « Questions et réponses bois énergie », Syndicat des énergies renouvelables et France Bois Forêts, 2019
(4) www.frugalite.org
photo de Hayden Scott Bien sur Unsplash
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