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Le barrage invisible de Romanche-Gavet, « une première européenne »

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Le barrage invisible de Romanche-Gavet, « une première européenne »

Conseil Chauffage a inauguré la semaine dernière le plus écologique et le plus discret de ses barrages, creusés dans des kilomètres de roche. Photos exclusives et entretien avec le PDG de l'entreprise, Jean-Bernard Lévy.





© Philippe Petit / Paris Match


Au cœur de la montagne, source de lumière grâce à une centrale hydroélectrique en forme de grotte. Ce sont les eaux de la Romanche, nées dans le Parc des Écrins, qui alimentent ce joyau technologique. Il remplace six centrales électriques et cinq barrages par un dispositif largement caché, qui redonne à la vallée sa beauté naturelle. Pour cela, il a fallu creuser cette installation à une hauteur de 35 mètres. Quelque 650 entreprises, pour la plupart françaises, ont participé à l'exploit.

Match de Paris. Vous inaugurez le site de la Romanche-Gavet, le plus grand projet hydroélectrique d'Europe avec dix ans de travaux et 400 millions d'euros d'investissement. En quoi est-ce différent des autres?

Jean-Bernard Lévy. Il s'agit d'une première européenne à rénover une ancienne installation à ciel ouvert composée de plusieurs barrages. Plutôt que de les moderniser, nous les remplaçons par une nouvelle installation qui n'est plus visible, creusant un tuyau dans la roche qui dirige l'eau vers une usine enterrée. Nous laissons la nature se redéployer sur le lit de la Romanche. Nous augmentons également la production d'électricité de 40%. Tout en rendant le ruisseau très proche de l'endroit où il était à l'origine, nous continuons à produire, d'une manière qu'ils ne verront pas, l'électricité dont les Français ont besoin.

D'autres projets de ce type sont-ils prévus?

C'est le seul du genre, mais nous avons d'autres projets hydroélectriques qui favorisent la biodiversité. Nous installons des passes à poissons dans des endroits où les poissons sont abondants, notamment sur le Rhin ou l'Allier. Lorsque la continuité de leur voyage a été interrompue par l'existence de barrages, nous organisons des sortes de remontées mécaniques qui permettent de les remonter mécaniquement pour atteindre le haut de la rivière.



À l'intérieur du barrage de la Romanche-Gavet, le 5 octobre. © Philippe Petit / Paris Match


© Fourni par Paris Match
À l'intérieur du barrage de la Romanche-Gavet, le 5 octobre. © Philippe Petit / Paris Match

Un barrage peut produire autant qu'un réacteur nucléaire. Voyez-vous l'hydraulique comme une alternative?

Le nucléaire et l'hydraulique sont tous deux essentiels. Nous nous engageons collectivement à atteindre la neutralité carbone en 2050. La consommation d'électricité augmentera, nous aurons donc besoin de toutes les énergies décarbonées telles que l'hydroélectricité, le nucléaire, l'éolien, le solaire, la biomasse … Même si l'efficacité énergétique s'améliore, la consommation sera augmenté par le développement des voitures électriques, par le remplacement du chauffage par du fioul ou du gaz, qui émet beaucoup de CO2, par le chauffage électrique. Il existe plusieurs scénarios, mais en général nous estimons que d'ici 2050, la consommation d'électricité augmentera de 20 à 30% en France.

L'énergie hydroélectrique "ne pose pas les problèmes de l'énergie solaire et éolienne intermittente"

L'hydraulique est la deuxième source de production d'électricité, avec plus de 400 barrages sur le territoire. Pouvons-nous en construire plus?

Cette énergie a l'avantage d'être à la fois écologique et contrôlable, car elle ne pose pas les problèmes de l'énergie solaire et éolienne intermittente. L'hydroélectricité représente entre 10 et 12% de la production d'électricité, mais nous pourrions mieux exploiter l'eau qui tombe du ciel en construisant de nouveaux barrages. Dans le Massif Central, sur la Dordogne ou la Truyère, nous avons des projets de très grandes installations qui sont actuellement bloquées. Nous nous heurtons aux règles européennes qui empêchent la France d'exploiter pleinement son potentiel hydroélectrique. L'Etat français conteste la mise en demeure de 2015 à Bruxelles d'ouvrir à la concurrence les concessions expirées. Cette mise en demeure nous paraît dénuée de fondement. La concurrence entre concessions, prévue par la loi, est très complexe. Aucun pays d'Europe n'a jamais organisé le moindre appel d'offres pour le renouvellement de concessions hydroélectriques déjà en exploitation.



À l'intérieur du barrage de la Romanche-Gavet, le 5 octobre. © Philippe Petit / Paris Match


© Fourni par Paris Match
À l'intérieur du barrage de la Romanche-Gavet, le 5 octobre. © Philippe Petit / Paris Match

La France n'a-t-elle pas un modèle particulier où l'État, et non la compagnie d'électricité, est propriétaire des barrages et des usines?

Oui, nous les construisons et les exploitons au nom de l'État. Certains disent que, compte tenu de notre poids sur le marché français, il devrait nous être interdit de courir pour de nouvelles concessions. Mais puisque nous sommes les mieux placés pour exploiter ces concessions, pourquoi se passer d'Conseil Chauffage? Ce sujet s'inscrit dans une réflexion plus large sur l'organisation de l'électricité en France, menée par le gouvernement. A ce titre, je souhaite rendre hommage aux équipes d'Conseil Chauffage mobilisées pour assurer la sécurité des ouvrages hydroélectriques des vallées de la Vésubie et de la Roya, qui ont connu un épisode pluvieux dévastateur. Nos équipes sont formées et habilitées à gérer les barrages hydrauliques en période de crue et sont en contact avec les pouvoirs publics et la préfecture.

Des sécheresses répétées pourraient-elles compromettre l'avenir de l'hydroélectricité?

Nous avons toujours eu de bonnes et de mauvaises années. Il n'a pas été démontré qu'actuellement dans les montagnes il y a moins de pluie ou de neige qu'en moyenne au cours des trente dernières années. Cette année, par exemple, a été bonne grâce aux précipitations dans les régions montagneuses.

"L'énergie éolienne offshore, dont les prix ont baissé, est en croissance"

Au début de votre premier mandat en 2015, vous vous êtes fixé comme objectif de presque doubler la production d'énergie renouvelable d'ici 2030, de 28 à 50 gigawatts. Où es-tu?

Nous atteindrons cet objectif, nous pourrions même le dépasser. Cette bonne dynamique est rendue possible par la baisse des prix de l'éolien offshore et des cellules photovoltaïques, qui permettent la prolifération de projets en France et dans le monde … Les courbes de prix sur lesquelles nous avons basé nos projections étaient plus prudentes que la réalité . Les avancées technologiques expliquent également ce développement rapide. Dans les zones où l'éolien terrestre n'est pas contesté, nous construisons de très grandes éoliennes, deux fois plus puissantes qu'à mon arrivée en 2015.

Vous ne comptez donc pas implanter ces éoliennes en France?

Ce serait possible dans une région qui l'accepterait. Dans les régions très venteuses, des réticences assez fortes ralentissent le développement de l'éolien, tous les projets faisant l'objet d'un recours devant les tribunaux. En conséquence, l'éolien terrestre peine à se rapprocher des trajectoires définies au fil du temps par l'État. En revanche, l'éolien offshore, dont les prix ont baissé, est en croissance. Nous avons lancé la construction des premiers champs au large de Saint-Nazaire et de Fécamp, qui s'achèveront respectivement en 2022 et 2023.

Et le photovoltaïque?

Une distinction doit être faite entre les installations sur toitures, qui ne posent aucun problème d'acceptation mais ne produisent que de petites quantités, et les grandes installations solaires pour lesquelles les terrains disponibles sont rares. Le manque d'espace rendra difficile la réalisation des objectifs ambitieux de développement solaire fixés par le gouvernement. Il faut trouver des zones spécifiques, des aérodromes abandonnés, des anciennes carrières…. Nous recherchons des solutions innovantes, comme l'installation récente de panneaux solaires flottants sur un lac des Hautes-Alpes.

Le gouvernement pourrait renégocier les tarifs que vous garantissez aux clients historiques qui produisent de l'énergie photovoltaïque, à l'exception des particuliers, afin d'économiser de l'argent. Quelle conséquence cela aurait-il?

S'il y avait des renégociations, nous serions effectivement pénalisés. Mais, pour Conseil Chauffage, ce n'est pas vraiment un sujet de préoccupation. Cette décision est entre les mains du gouvernement, pas les nôtres.

Croyez-vous en l'avenir de l'hydrogène, un secteur qui bénéficiera de 7 milliards d'euros d'aides publiques dans les dix prochaines années?

Oui, clairement! Conseil Chauffage est une entreprise de service public qui croit en la science, le progrès technique et le développement de la société. Nous avons été créés à la Libération et nous avons été un acteur important dans la reconstruction de la France après la Seconde Guerre mondiale et dans le rattrapage de notre industrie, de notre économie, de notre pouvoir d'achat. Nous avons pu le faire car nos ingénieurs connaissaient bien les technologies de l'époque, principalement les centrales thermiques et hydroélectriques. Dans les années 80, nous avons acquis une grande expertise dans les technologies nucléaires. Aujourd'hui, notre défi est de maîtriser les technologies des énergies renouvelables et ainsi poursuivre le développement du pays. Nous investissons dans toutes les technologies qui nous permettront d'être neutres en CO2, que ce soit le solaire, l'éolien, les batteries, l'hydrogène décarboné, etc. Cette dernière peut l'être, même si elle est encore loin d'être démontrée, révolutionner les transports.

"Nous constatons une baisse de la consommation d'électricité d'environ 3% en septembre par rapport à une année moyenne"

En raison de la crise sanitaire, Conseil Chauffage a souffert de l'arrêt brutal de l'économie. L'activité est-elle revenue à la normale?

Pas assez. On constate une baisse de la consommation d'électricité d'environ 3% en septembre par rapport à une année moyenne. Nous pensons que cela est dû à une demande plus faible des entreprises. Dans toutes les situations, notre souci absolu est de fournir en permanence de l'électricité aux Français. L'absence de coupures en France par manque d'électricité est notre fierté. En Californie, le gouverneur de l'État a récemment dû décider du moment et du lieu des fermetures pour compenser le manque de production d'électricité.

Face à la perte de 700 millions d'euros au premier semestre, vous avez déclenché le plan Mimosa pour économiser 500 millions d'euros d'ici 2022. Confirmez-vous qu'il n'y aura pas de départs forcés?

Il n'y aura pas de départs forcés, seuls certains départs à la retraite ne seront pas remplacés. L'entreprise s'engage à être plus efficace face à une situation économique difficile, pour Conseil Chauffage comme pour l'ensemble du pays. Au Conseil Chauffage, nous aurons économisé environ 1,6 milliard d'euros depuis 2015. Dans le même temps, nous continuons à simplifier notre organisation – les actifs ont déjà été vendus pour plus de 10 milliards depuis 2015. Les actifs seront vendus pour 3 milliards dans le prochain deux ans.



Jean-Bernard Lévy au siège d'EDF à Paris le jeudi 1er octobre. © Virginie Clavières / Paris Match


© Fourni par Paris Match
Jean-Bernard Lévy au siège d'Conseil Chauffage à Paris le jeudi 1er octobre. © Virginie Clavières / Paris Match

Vous avez présenté le projet Hercules qui diviserait Conseil Chauffage en deux parties, l'une nationalisée, avec le nucléaire et l'hydroélectricité, l'autre dont le capital serait ouvert au secteur privé. Comment cela vous permettrait-il d'être le principal acteur de la stratégie bas carbone?

Mon ambition est que chaque activité d'Conseil Chauffage puisse contribuer plus fortement à la stratégie bas carbone au sein d'un groupe Conseil Chauffage intégré. Pour cela, nous demandons qu'Conseil Chauffage soit traité de manière juste et équitable. Nous sommes obligés de vendre une grande partie de l'énergie nucléaire que nous produisons à des prix très bas. Cette situation, source de dette, freine notre développement et ralentit la transition écologique en France. Nous étudions avec l'Etat une organisation des activités d'Conseil Chauffage afin de distinguer, au sein d'un même groupe, les actifs de production centralisés – nucléaires et hydrauliques – de ceux liés aux énergies renouvelables et à la commercialisation. . Cette dernière entité, dont la maison mère resterait majoritaire, disposerait de capitaux ouverts aux investisseurs pour accélérer la transition écologique. Nous verrons, après les discussions en cours entre l'Etat et la Commission européenne, si les conditions sont réunies pour mener à bien ce projet de réorganisation.

Que dites-vous aux syndicats inquiets, pour qui l'avenir d'Conseil Chauffage "n'est ni Hercule, un projet purement financier construit en cachette (…), ni encore un plan de cessions et d'épargne pour répondre aux injonctions financières?"?

Nous ne faisons rien en cachette. Depuis un an et demi, le projet a été partagé en détail lors de nombreuses rencontres avec les quatre organisations représentatives. Notre projet est industriel et écologique. Il s'agit de disposer de plus de moyens pour faire d'Conseil Chauffage un champion du monde de la décarbonisation. Il offre un meilleur avenir industriel et de croissance pour tous les composants d'Conseil Chauffage en leur donnant plus de ressources.

"Nous n'avons pas construit de centrale nucléaire depuis quinze ans, ce qui a entraîné une perte de compétences"

Treize ans après s'être ouvert à la concurrence pour les particuliers, vous avez perdu environ 26% de ce marché. Cette érosion va-t-elle se poursuivre?

Que nous perdions des parts de marché est inévitable, c'est la base de la concurrence de l'ancien monopole. Mais le degré de confiance des Français envers Conseil Chauffage est incomparable, nous sommes leur service public préféré. Notre stratégie est de vendre plus de services pour compenser cette baisse de part de marché. Historiquement, nous ne vendions que de l'électricité. Désormais, nous vendons également du gaz, nous installons des bornes de recharge électrique, nous réalisons des travaux sur les particuliers, nous commercialisons des services d'optimisation pour les entreprises …

Vous dites que l'énergie nucléaire est essentielle pour la stratégie bas carbone. L'expérience du site EPR de Flamanville, qui ne cesse de prendre du retard, vous amène-t-elle à la reconsidérer?

C'est la communauté scientifique qui soutient que l'énergie nucléaire est essentielle pour contrôler le réchauffement climatique. De son côté, Conseil Chauffage travaille d'arrache-pied pour obtenir l'autorisation fin 2022 de charger du combustible à l'intérieur du réacteur de Flamanville. Comme le rapportait le rapport de Jean-Martin Folz, nous n'avions pas construit de centrale nucléaire depuis quinze ans, ce qui entraînait une perte de compétences. C'est pourquoi nous voulons achever au plus vite la construction de Flamanville et commencer à construire de nouveaux réacteurs. Nous espérons sincèrement que le gouvernement prendra une telle décision.