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Y-a-t-il de l’eau dans le gaz ?

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Y-a-t-il de l’eau dans le gaz ?

Le diable est dans les détails. Il y a fort à parier que le pétrole n'aurait pas eu le sort que nous connaissons s'il n'avait pas été liquide à la pression et à la température atmosphériques. Première source d'énergie primaire mondiale (33% du Conseil Chauffage en 2019), elle devance largement le charbon (27%) – un combustible solide – et le gaz (24%) (3). Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la mobilité de ces trois sources d'énergie: 66% du pétrole franchit une frontière avant d'être utilisé, contre seulement 22% du gaz et 12% du charbon … (4)

Si le gaz a décollé un siècle derrière le pétrole, c'est en grande partie à cause du caractère qui lui donne son nom. Parce que "gaz" est un terme trop générique qu'il faut définir pour apprécier sa richesse et ses subtilités.

Origine du gaz

Comme le pétrole, le gaz naturel est un mélange d'hydrocarbures – ces molécules dites de carbone, constituées d'un ou plusieurs atomes de carbone – qui sont extraits d'une cavité souterraine imperméable dans laquelle il est emprisonné. Le gaz et le pétrole y coexistent souvent. Lorsqu'il remonte à la surface, ce gaz se retrouve à pression et température atmosphériques. Là, les hydrocarbures qui forment cette soupe réagissent différemment. Ceux dont les molécules n'ont pas plus de quatre atomes de carbone deviennent gazeux; les autres, qui ont entre cinq et huit atomes de carbone, se condensent: ils sont appelés, dans le jargon, "condensat de gaz naturel". Liquide, il est traité et ses constituants entrent dans la composition de l'essence, du kérosène, du naphta, etc.

Il existe donc quatre hydrocarbures gazeux: le méthane (un atome de carbone), l'éthane (deux), le propane (trois) et le butane (quatre). Les deux derniers – le butane et le propane – sont les deux constituants des gaz de pétrole liquéfiés (GPL), utilisés entre autres par certains véhicules. Ils remplissent également dans des proportions variables des bouteilles de gaz à usage domestique (pour cuisinières à gaz ou chauffe-eau), des réservoirs extérieurs (pour chauffer certaines habitations), et plus marginalement nos briquets. Ils sont généralement stockés à une pression qui permet la coexistence de leurs états liquide et gazeux (5), c'est pourquoi on constate souvent qu'une bouteille de gaz (ou un briquet) contient un élément liquide, ce qui est a priori paradoxal.

Venons-en maintenant au dernier, le plus léger, celui qui nous intéresse: le méthane. Même s'il constitue la majorité du volume des réservoirs de gaz, c'est le parent pauvre de l'industrie gazière, à tel point qu'il est souvent réinjecté sous pression dans le puits qui l'a vu naître pour en récupérer davantage. de GPL et de condensat, qui ont une valeur marchande beaucoup plus élevée. C'est pourtant cela qui alimente les réseaux nationaux de gaz. Dans la suite de cet article, le terme «gaz» désignera donc le méthane circulant dans les canalisations du réseau français.

Des contrats centenaires pour des investissements gigantesques

Alors que la Russie, l'Iran, le Qatar, le Turkménistan et les États-Unis se partagent plus de 60% des réserves connues, la France ne dispose plus de réservoir de gaz naturel: le champ de Lacq, en Nouvelle-Aquitaine, qui était une source d'approvisionnement majeure dans les années 1970 à sec. Aujourd'hui, tout le gaz consommé en France est importé de l'étranger; les deux tiers arrivent par une demi-douzaine de gazoducs internationaux, le tiers restant est liquéfié à -160 ° C sur son lieu de production et navigue ainsi sur d'énormes méthaniers avant d'être regazéifié puis injecté dans le réseau de transport de celui des quatre terminaux gaziers de France (3).

C'est la Norvège qui remporte le prix du premier fournisseur français de gaz naturel (35% de l'offre nationale en 2019) devant la Russie (25%), et dans une moindre mesure le Nigéria (7%) et les Pays-Bas (7%) ( 3). Ces relations commerciales sont essentielles pour l'approvisionnement énergétique du pays, mais elles placent intrinsèquement la France dans une relation de dépendance vis-à-vis de ces partenaires. Nous y reviendrons.

Une fois sur le sol français, cette matière première est acheminée par 35 000 km de canalisations de transport de gaz, puis par 200 000 km de canalisations de distribution pour alimenter les particuliers. C'est facile à comprendre: toutes ces infrastructures sont chères, très chères, et certaines d'entre elles ont nécessité des contrats de fourniture à très long terme pour justifier leur construction (parfois 100 ans! (6)). On estime qu'avec le même potentiel énergétique, le transport du gaz coûte cinq fois plus cher que celui du pétrole (7).

Gaz vs électricité: un match en direct?

Il fut une période où le gaz et l'électricité – 2e et 3e dernière source d'énergie en France derrière le pétrole inamovible – ont été réunis sous la houlette d'une seule entreprise publique, où l'on peut imaginer que l'intérêt général a prévalu sur les parts de marché propres à ces deux secteurs. Cette période est terminée depuis la fin du XXe siècle, il peut être intéressant de comparer deux sources d'énergie qui partagent la particularité de nécessiter des réseaux de transport et de distribution coûteux.

Côté consommation, en 2018, c'est un (presque) tirage au sort: la France a consommé 435 TWh d'électricité (dont 30 à base de gaz) et 427 TWh de gaz (dont 67 pour fabriquer de l'électricité) (9). Par rapport à ses voisins européens, la consommation de gaz français est plutôt faible: faute d'une part du programme électronucléaire des années 1970 et d'autre part des politiques publiques qui ont favorisé l'utilisation de l'électricité pour le chauffage. domestiqué. Ainsi, nos voisins allemands, britanniques et italiens consomment en moyenne deux fois plus.

Au niveau régional, les inégalités sont marquées: la consommation de gaz est plus élevée dans le quart nord-est du pays, où le réseau est plus dense et où se trouvent les principales sources d'approvisionnement. A l'inverse, le Massif Central et la côte Atlantique souffrent d'un réseau moins maillé.

Du gaz, oui, mais pour quoi faire?

Si l'électricité a l'incommensurable avantage d'être un véritable couteau énergétique suisse – elle peut bouger, tourner, chauffer, refroidir, éclairer, émettre, diffuser, etc. – avec le gaz, on ne peut que chauffer. Aussi, il peut être surprenant à première vue de constater qu'en France comme en Europe, les deux consomment la même chose (10).

Ce n'est que de la chaleur, c'est nécessaire. En France, une grande moitié du gaz est utilisée pour chauffer des logements et des bureaux dans le tertiaire, tandis que l'autre moitié participe à différents processus industriels: production d'électricité, production pétrolière et chimique, production de chaleur industrielle, agroalimentaire, verre, papier, métallurgie, etc. Il faut noter avec malice que le secteur de l'énergie (électricité et pétrole) est le plus gros consommateur industriel de gaz, lui-même produit énergétique …

Y a-t-il un défaut dans le gaz?

Deux principaux. Le premier a été évoqué en partie: la France (et l'Europe) est entièrement dépendante de ses fournisseurs et des investissements colossaux nécessaires à leur connexion maritime ou terrestre. Si la Norvège décide soudainement de fermer les robinets de ses pipelines, la France ne pourra pas transférer rapidement ce manque d'approvisionnement vers un autre pays fournisseur. L'Ukraine a vécu cette situation amèrement à l'hiver 2014 lorsque son voisin la Russie l'a privée de ses livraisons de gaz (12) (13).

Pour surmonter légèrement cette contrainte, de nombreux sites de stockage ont été créés à travers le pays. Ainsi, au début de l'hiver, les batteries sont pleines, garantissant un stock d'environ 25% de la consommation annuelle française (11), et permettant de passer l'année à venir en compensant un manque d'approvisionnement d'un pays fournisseur.

Le second est plus problématique. Si le gaz est à juste titre le combustible fossile le moins polluant, il est néanmoins dans des proportions incompatibles avec la question du réchauffement climatique. En France, il contribue à 20% des émissions de gaz à effet de serre (14). Cependant, il faut rappeler que pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en France en 2050, il faudra diviser ces émissions par dix!

Certes, comme le montrent les graphiques ci-dessus, le remplacement du charbon ou des produits pétroliers (mazout, essence, diesel) par du gaz réduirait les émissions de CO.2… Quand c'est possible! Parce que le gaz n'est pas facilement substitué à n'importe quel usage. C'est du charbon de bois lorsqu'il est utilisé pour produire de l'électricité (ce qui n'est bientôt plus le cas en France); il est utilisé avec du fioul, lorsqu'il est utilisé pour produire de l'électricité (ce qui n'est guère le cas en France) et pour chauffer les habitations (mais la France envisage déjà d'abandonner le chauffage au fioul pour 2022); et ce n'est surtout pas pour l'essence et le diesel, qui sont principalement responsables des émissions de gaz à effet de serre en France et dans le monde.

Ces graphiques indiquent, par ailleurs, pour la France, une autre alternative bien plus sérieuse en termes d'émissions polluantes: l'électricité. Remplaçant les énergies fossiles pour la plupart des usages (et même pour une partie de la mobilité), l'électricité permettrait d'économiser bien plus qu'une utilisation accrue du gaz.

Eau pétillante

Ce raisonnement n'est applicable qu'à la France, où la production d'électricité, d'origine nucléaire et hydraulique, est largement décarbonée. Ce qui est vrai ici ne l'est pas nécessairement ailleurs, notamment chez la plupart de nos voisins européens. En Allemagne, la production d'un kWh d'électricité émet 10 fois plus de CO2 qu'en France et 80 fois plus en Pologne (15). Ces niveaux sont-ils suffisants pour justifier le remplacement des centrales au charbon de ces pays par des centrales au gaz?

Même pas: la production électrique britannique, qui repose désormais principalement sur le gaz naturel, génère des émissions de gaz à effet de serre encore trop élevées pour tenter de se rapprocher de la neutralité carbone à moyen terme. Car, n'oublions pas, les infrastructures essentielles au gaz sont des investissements à long terme. Peut-on vraiment imaginer que le gazoduc Nord Stream II, actuellement en construction entre l'Allemagne et la Russie, qui coûte environ dix milliards d'euros, ne fonctionnera que pendant 20 ans? Peut-on vraiment imaginer que le plus grand terminal méthanier de France, mis en service en 2017, qui a coûté plus d'un milliard d'euros, sera démoli bien avant 2050?

L'objectif, affiché aujourd'hui, de limiter drastiquement et rapidement le réchauffement climatique ne permet donc pas au gaz fossile d'être une énergie de transition, ni en France ni chez nos voisins européens. Les campagnes de communication des acteurs du gaz ont récemment vanté les vertus d'un «gaz vert» qui, comme le bois, rejette le CO2 qu'il a précédemment prélevé dans l'atmosphère, permettant à sa combustion d'être neutre en émissions de gaz à effet de serre. Le salut du gaz viendra-t-il de ce biométhane? peut-être, mais seulement si cette solution démontre sa viabilité à travers des analyses approfondies et indépendantes des acteurs du secteur. Gardez à l'esprit qu'en matière de réchauffement climatique, le problème n'est pas que nous avançons trop lentement dans la bonne direction, mais que nous nous hâtons dans la mauvaise direction.

Pour de plus amples :

(1) Réchauffement climatique: "Développer des projets pétroliers et gaziers signifierait enfermer l'économie mondiale dans une dépendance aux hydrocarbures" : chronique de Gaël Giraud, Jean-Marc Jancovici et Laurence Tubiana publiée dans Le Monde le 12 novembre 2020.

(2) Extrait de la page "Le gaz, une énergie du futur" du site du gestionnaire du réseau de distribution de gaz GrDF: «Le gaz naturel représente un défi pour l'avenir, tandis que la question de l'énergie devient cruciale pour les générations futures. ".

(3) Revue statistique BP de l'énergie mondiale, 2020, 69e édition, Document de 68 pages disponible en ligne.

(4) Blog de Jean-Marc Jancovici, À quoi sert le charbon, article publié le 1euh Juillet 2012.

(5) La pression de vapeur saturée est la pression à laquelle coexiste une même substance sous sa forme liquide et gazeuse: à 20 ° C, elle est de 2 bars pour le butane, 8 bars pour le propane et… 620 bars pour le méthane!

(6) France Culture, diffusion Entendez-vous l'éco? du 2 septembre 2020 intitulé Gaz naturel: a perdu une transition. Invitée: Anna Creti, membre du laboratoire Dauphine Economics-Center for Geopolitics of Energy and Raw Materials, et directrice de la chaire "Natural Gas Economy".

(7) Fiche pédagogique Transport de gaz sur le site www.connaissancedesenergies.org.

(8) Données du site de RTE Eco3mix pour les données de production et de consommation.

(9) Ministère de la Transition écologique et solidaire – Commissariat général au développement durable – Chiffres clés de l'énergie édition 2019 – Document de 80 pages publié en septembre 2019 et disponible en ligne.

(10) En 2019, l'Europe a consommé 4000 TWh d'électricité et 5555 TWh de gaz naturel (3).

(11) Données issues de la plateforme Open Data Networks Energies (ODRE), fruit d'une collaboration entre les différents opérateurs français de transport de gaz et d'électricité.

(12) Le Figaro, La Russie coupe le gaz vers l'Ukraine, l'Europe s'inquiète, par Hayat Gazzane, publié le 16 juin 2014.

(13) Le monde, La Russie cesse ses livraisons de gaz à l'Ukraine, par Jean-Michel Bezat, publié le 24 novembre 2015.

(14) Données de l'édition 2020 des bases de données Ominea et Secten du Centre technique interprofessionnel d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA).

(15) Le blog de Sylvestre Huet, Électricité et CO2 : la table européenne, publié le 6 mai 2019.

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