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Que cachent les archives religieuses?

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Que cachent les archives religieuses?

Après la mise au jour, à Kamloops et Marieval, de nombreuses tombes anonymes à proximité d'anciens pensionnats pour Autochtones, les supérieures des congrégations des Oblates de Marie Immaculée (OMI) et des Sœurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe (SSJSH), soumis à un feu croisé de questions, ont annoncé l'ouverture de leurs archives. Mais que peut-on attendre de se plonger dans de tels documents quand vient le temps de faire la lumière sur l'actualité d'un passé abyssal qui refait soudain surface ? Les archivistes parlent.



Celui qui plonge dans les archives ne revient jamais à la surface avec toutes les réponses à ses questions.


© Jacques Nadeau Le Devoir
Celui qui plonge dans les archives ne revient jamais à la surface avec toutes les réponses à ses questions.

Il faut savoir d'emblée que ces archives n'étaient pas fermées au sens strict, explique David Bureau, archiviste au Centre d'archives et de documentation Roland-Gauthier de l'Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal et également président du Groupement des archivistes religieux. . Pour preuve, les archives des communautés religieuses ont été plus d'une fois fouillées par de nombreux historiens.

« Il me semble important de souligner que les archives religieuses ne sont pas fermées, mais que ce sont des archives privées, avec tout ce que cela implique », précise l'archiviste. Autrement dit, leur accès est de la responsabilité de leurs titulaires, dans le cas particulier qui nous concerne : l'OMI et la SSJSH.

Un chercheur peut demander l'accès à des fonds d'archives privés, "mais des règles s'appliquent pour protéger les informations personnelles des individus, bonnes et mauvaises, qui se trouvent dans les fichiers conservés".

Ces règles légales de confidentialité sont requises par la loi. À cet égard, les mêmes règles s'appliquent en principe au sein des services d'archives nationaux, comme à Bibliothèque et Archives nationales du Québec. « Ce n'est pas parce qu'un ensemble de documents est acquis par un service d'archives publiques que soudainement tous les documents sont accessibles », ajoute Bureau. Les archives religieuses, en ce sens, ne sont pas plus fermées que les autres fonds documentaires. "

Une clé d'accès

Dans la pratique, il y a tout de même des « barrières structurelles », note François Dansereau, archiviste principal des Jésuites au Canada. L'accès peut encore être complexe, observe l'historien Guy Laperrière, auteur deHistoire des communautés religieuses au Québec (éditeur VLB, 2013). « J'ai consulté maintes et maintes fois les archives religieuses ! Mais avec les règles sur la protection de la vie privée, tout s'est compliqué. Et il est certain que les menaces de poursuites contre les communautés religieuses n'aident pas. » Il rapporte avoir connu des difficultés d'accès particulières, du moins du diocèse de Montréal et de Chicoutimi.

Le devoir demandé l'accès aux archives des Oblats de Marie Immaculée, basées à Saint-Jean-sur-Richelieu. Une demande écrite doit être faite pour recevoir le consentement d'un conseil religieux. Ce faisant, le chercheur est prévenu que, faute de personnel et de disponibilité, les demandes sont souvent refusées.

« Compte tenu de nos ressources en tant que centre d'archives privé, nous ne sommes malheureusement pas en mesure de répondre à toutes les demandes que nous recevons, même parfois celles qui répondent à nos priorités », explique le Devoir archiviste Caroline Brunet, responsable de ces documents. Notre demande de consultation a été rejetée.

La situation est à peu près la même partout au Canada. Erin Suliak, archiviste aux Archives territoriales du Nord-Ouest à Yellowknife, raconte au Devoir que, "dans notre pays, la plupart des informations pertinentes sont contrôlées par les autorités religieuses".

Éléments cachés ?

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« Il faut le dire, les archives ne regorgent pas toujours du type d'informations que l'imaginaire populaire aime à concevoir », a souligné David Bureau, président du Regroupement des archivistes religions. Existe-t-il des documents cachés qui permettraient de mieux comprendre les tragédies des pensionnats indiens? "Au lieu de cela, attendons une correspondance sèche, froide et très bureaucratique", précise l'archiviste. On y lira que « tel ou tel internat est désormais le problème de la communauté responsable ». Nous apprendrons comment la communauté doit faire face seule aux « pénuries de nourriture, de bois de chauffage, de personnel qualifié, de transport, etc. ". On trouvera encore, sans doute, "des livres de comptes, des lettres aux supérieurs ici demandant quelques centimes de plus, là se plaignant du froid constant."

En fin de compte, tout cela doit être décanté et analysé. Celui qui plonge dans les archives ne revient jamais à la surface avec toutes les réponses à ses questions.

Il faut encore se donner la peine d'examiner de nombreux documents différents, explique l'historien Guy Laperrière. "Mais en principe, si des enfants meurent d'une épidémie, ce devrait être dans le Codex historicus », Ni plus ni moins que la chronique des actions de la communauté.

Les documents administratifs peuvent également faire la lumière. Il faut parfois savoir les lire entre les lignes. Pour les abus sexuels, « cela peut se traduire dans des documents qui invitent des mouvements religieux, sans que cela soit nommé comme tel ».

De fait, les passages du rivage des archives à celui du savoir constituent une traversée souvent laborieuse, surtout lorsqu'on est poussé par le seul courant des eaux rapides de l'actualité du moment.

Trop schématique

De nouveaux examens des archives religieuses permettront "sans doute de comprendre que bien souvent l'horreur et la grandeur sont dans le même bateau", pense en tout cas le président du Regroupement des archivistes religieux.

Le portrait, au final, ajoute David Bureau, risque de paraître "beaucoup plus nuancé que ce que les détracteurs de l'Église de tous bords et de tous bords nous font croire". Encore faut-il mieux comprendre les défis auxquels étaient confrontés les joueurs de l'époque. L'Église était l'organisation idéale pour mener des politiques qu'il faut se donner la peine de regarder plus largement, estime l'archiviste.

« Je ne remets pas du tout en cause la responsabilité de l'Église. Elle a certainement une introspection à faire. Mais le public doit aussi se poser des questions devant des schémas simplistes où, d'un côté, il y a des missionnaires martyrs et, de l'autre, des monstres et des agresseurs, mais jamais rien entre ces deux extrêmes ! Fouiller davantage dans les archives peut freiner cette vision trop schématique, pense-t-il.

Une urgence pour l'Etat

« Il ne suffit pas de dire que les archives sont ouvertes, estime l'archiviste François Dansereau. Des documents que personne n'a classés ou indexés depuis des décennies ne sont pas d'une grande utilité, soutient-il. « Il faut du personnel pour que les archives existent, pour que les chercheurs puissent les consulter. "

Il estime que les autorités gouvernementales doivent s'impliquer pour assurer la pérennité de ces documents, "non seulement en finançant des projets au coup par coup, mais en affichant une vision à long terme", sachant que ces archives ne répondent pas. seulement aux questions du présent. « Dans 25 ou 50 ans, d'autres questions trouveront des réponses dans ces documents. Un financement public est nécessaire pour sauvegarder ces documents. Sinon, la possibilité de les perdre ou de les voir détruits apparaît bien réelle. "

La religion ne constitue pas l'essentiel des archives religieuses, souligne l'archiviste Dansereau, qui est également chargé de cours à l'Université McGill. Elles brillent à plusieurs égards : éducation, santé, culture, science, relations avec la diaspora canadienne-française, etc. Pourtant, les archivistes disent depuis des années aux gouvernements que les archives religieuses sont menacées. Cette menace mine en fin de compte notre capacité à comprendre notre propre passé.

Le vif intérêt manifesté ces dernières semaines pour les archives religieuses contraste, observe le président du Regroupement des archivistes religieux, avec la réticence de l'État à assurer la survie de ces documents. Le sort des archives religieuses est passé depuis des années sous le radar des préoccupations des ministres responsables, malgré une série de rapports alarmants.

"Ironiquement, il y a près d'un an, les archives des Sulpiciens ont été fermées avec une quasi indifférence", se souvient David Bureau. Ces archives, parmi les plus importantes au Canada, essentielles pour façonner une partie de l'histoire du pays, Le devoir avait révélé sa fermeture impromptue. Depuis, ils sont restés fermés.

« Les Sulpiciens étaient aussi en contact avec les nations autochtones, notamment avec la nation mohawk par l'intermédiaire de la seigneurie de Deux-Montagnes. Encore heureux que, dans le passé, les religieux aient fait l'effort de conserver les traces de notre passé. Là, au moins, on peut encore espérer accéder à leurs documents et réfléchir ensemble, au mieux, à ce passé trouble. "