fbpx

Ordonnances et décrets pris dans le cadre de l’état d’urgence, examinés de près par les sénateurs

By

Ordonnances et décrets pris dans le cadre de l’état d’urgence, examinés de près par les sénateurs

Pour la première fois depuis l'adoption des lois instaurant l'état d'urgence sanitaire et la publication des ordonnances et décrets pris par le gouvernement qui en découlent, la commission des questions économiques s'est réunie vendredi matin en visioconférence pour faire le point des difficultés noté sur les territoires. Sur la base des propos et analyses exprimés par les sénateurs, la présidente de la commission Sophie Primas a interpellé par courrier les ministres de l'Économie, de l'Agriculture et de la Transition écologique et inclusive.

En substance, cinq points de vigilance ont été soulevés et:

  • 1: le système d'activité partielle n'est pas encore suffisamment clarifié et plusieurs dysfonctionnements sont à signaler, ce qui ajoute aux difficultés économiques une incertitude psychologique. En particulier :
    • certaines entreprises souhaitent pouvoir recourir à une activité partielle bien qu'elles ne soient pas administrativement contraintes de fermer. D'une part, le manque de commandes et l'approvisionnement défectueux réduisent considérablement leur chiffre d'affaires ou leur niveau de production; en revanche, certains (voire tous) des salariés ne souhaitent pas prendre de risque pour la santé en venant travailler. Dans ces conditions, il est inutile (voire dangereux) pour eux de rester ouverts. C'est par exemple le cas de certaines allées, restauration rapide, ouvriers du bâtiment, pâtissiers, traiteurs, etc. Mais les Direcctes leur répondent qu'ils ne sont pas éligibles à une activité partielle car la fermeture n'est pas imposée;
    • l'absence d'ouverture du chômage partiel aux travailleurs indépendants a également été déplorée, en particulier en ce qui concerne les travailleurs des plates-formes;
    • De nombreuses entreprises sont confrontées à des difficultés techniques car les plateformes sont saturées et ne permettent donc pas de procédures administratives. Il faut parfois plus d'une semaine pour recevoir les codes nécessaires. Cela est particulièrement inquiétant pour les chefs d'entreprise, notamment ceux de TPE-PME.
  • 2: le report des charges fiscales et sociales ne sera pas suffisant et il faudrait donc que certains sénateurs favorisent l'annulation des charges. En effet, un report entraîne une sortie massive de trésorerie au moment de la reprise (charges «tardives» ajoutées aux charges contemporaines), c'est-à-dire quand elle sera quasi inexistante;
  • 3: le manque de main-d'œuvre, lié au droit de rétractation exercé par certains salariés par crainte pour la santé, risque de limiter considérablement les ventes, au-delà même du problème d'approvisionnement des produits. Les acteurs économiques s'interrogent donc sur la livraison des masques: quelle sera la quantité, et selon quels critères seront-ils distribués?
  • 4: il est nécessaire de clarifier les modalités de mise en œuvre des différents systèmes et d'harmoniser les pratiques des services déconcentrés de l'Etat. En termes de sécurité sanitaire et de précautions à mettre en œuvre sur le lieu de travail, les consignes restent trop hétérogènes. Ce fait maintient la réticence de certains salariés à venir travailler (cfsupra) et met en péril la pérennité de la production. Le manque de masques disponibles oblige certaines entreprises à mettre en place des mesures d'activité partielles, voire à fermer les sites;
  • 5: il est impératif de réfléchir maintenant à une stratégie de relance post-crise, basée notamment sur les PME. La perte de chiffre d'affaires et d'endettement pèsera nécessairement sur le financement des investissements et se traduira donc probablement par une forte baisse du montant et du nombre des investissements.

Par zone, les sénateurs en contact avec les acteurs locaux ont évoqué les informations suivantes:

Commerce, services, artisanat

  • une distorsion de concurrence se produit entre les petits magasins et les grands détaillants. Alors que les premiers, lorsqu'ils ne sont pas «indispensables» (librairie, fleuriste, textile), ont fermé, le second est toujours autorisé à ouvrir et donc à vendre notamment des livres, des fleurs, des vêtements. On pourrait envisager d'ouvrir de grandes surfaces limitées à l'alimentation et à l'hygiène ou la mise en place d'organisations locales (plateformes numériques couplées à la conduite ou à la livraison à domicile) pour rétablir l'équité entre les acteurs économiques, aujourd'hui largement remise en cause. La même observation peut être faite concernant les principales plateformes de trading en ligne;
  • les acteurs manquent de visibilité sur les critères d'éligibilité au Fonds de soutien. Les critères annoncés aujourd'hui devraient également entraîner un non-appel élevé. Le taux de 70% est trop élevé, et la période de référence ne devrait pas être celle de mars 2019, car l'activité commerciale y était déjà en forte baisse (gilets jaunes);
  • certains secteurs, comme celui de la restauration, sont déjà confrontés à des difficultés de trésorerie très importantes: la baisse de fréquentation ayant débuté début mars (et non le 14 mars, date de l'ordonnance d'interdiction), leur trésorerie ne permettre de payer des salaires «entiers» jusqu'au 14 mars, puis d'avancer les allocations de chômage partiel pour les deux semaines restantes;
  • les artisans du bâtiment rencontrent des difficultés concrètes sur les chantiers pour concilier la poursuite de l'activité économique et le respect des règles sanitaires. Outre le manque de masques, il est par exemple financièrement impossible, de se déplacer, d'utiliser plusieurs véhicules pour respecter la distance sociale d'un mètre;
  • de fortes interrogations demeurent quant aux mesures de soutien au secteur événementiel, qui connaît un nombre très élevé d'annulations;
  • la clarification annoncée par le secrétaire d'État concernant la possibilité pour les entreprises en renfort de bénéficier de la garantie de prêt n'a toujours pas eu lieu;
  • des difficultés ont été constatées en matière bancaire: taux d'intérêt élevés (à des taux qui se rapprocheraient de l'usure). Une unité de surveillance des banques commerciales pourrait être mise en place;
  • on assiste à une augmentation des prix de certaines nécessités de base, catégorie qui devrait d'ailleurs être élargie dans le contexte de la crise actuelle pour tenir compte des situations nouvelles (expatriés rentrant en France pour accompagner un proche souffrant par exemple).

Tourisme

  • la situation est très difficile pour les entreprises du secteur, en particulier les hôtels, les cafés et les restaurants, les fermes et les tables d'hôtes confrontées à des annulations et qui peuvent ne pas avoir suffisamment de liquidités pour survivre (lire ici);
  • le champ d'application de l'ordonnance relatif à la possibilité, pour les contrats touristiques, notamment d'hébergement, de reporter la prestation plutôt que de la rembourser afin de préserver la trésorerie des établissements, est très limité pour les hôtels utilisant des plateformes de recours. les réservations, qui ont souvent fait le choix, sans consulter les établissements concernés, de procéder à des remboursements, les privant ainsi des espèces correspondantes;
  • cela indique un manque de compréhension du fonctionnement du secteur.

Industrie

  • même dans les cas où les salariés sont disposés à venir travailler et bénéficient de protections suffisantes, l'approvisionnement en matières premières des pays touchés par la crise sanitaire devient plus compliqué, ce qui peut pousser les industriels à réduire ou arrêter leur activité; par exemple, une entreprise de filature dans la région du nord a déclaré qu'elle manquait de matières premières en provenance de l'Inde, qui a arrêté toute production en raison des mesures de confinement récemment décidées.
  • la fermeture des frontières peut également saper les chaînes d'approvisionnement traditionnelles. Ce problème est d'autant plus grave que les services déconcentrés de l'Etat (notamment les Direcctes) ne considéreraient pas que le manque de matières premières suffit à justifier une baisse d'activité, et donc une compensation partielle des mesures d'activité;
  • dans le secteur de la mécanique et de la machinerie, le manque de pièces détachées (dont l'importation a été bloquée ou dont la production a été arrêtée) est un défi considérable, qui affecte également plus largement la capacité nationale de lutte contre la crise sanitaire: la pénurie de pièces empêche la maintenance ou la remise à neuf des équipements, ce qui peut paralyser les outils ou équipements industriels dans les secteurs des transports, de la santé et des communications.

Aliments

  • En termes de production et de logistique
  • de grandes difficultés pour certaines productions agricoles
  • le manque de main-d'œuvre pour les fruits et légumes de saison (fraises et asperges), avec une préoccupation liée à la prolongation du confinement sur les futures cueillettes telles que les cerises;
  • flambée des produits laitiers qui pèse déjà sur les prix. Malgré la reprise des exportations vers la Chine, les effets incertains sur les exportations vers l'Union européenne et la fermeture de certains débouchés (RHF, fromages coupés, etc.) induisent des besoins de limitation de la production et du stockage qui doivent être soutenus par l'Union européenne et l'État ;
  • pas directement liée à la crise de Covid, une baisse spectaculaire des prix du sucre et de l'éthanol due à la baisse des prix du pétrole qui replongera l'industrie betteravière dans une crise dont elle sortait.
  • un risque sur la fourniture de machines agricoles et de pièces détachées aux exploitations, du fait de la fermeture de certains sites de production;
  • des sites agroalimentaires industriels qui, s'ils sont encore actifs aujourd'hui, sont au bord de la rupture en raison d'un taux d'absentéisme croissant (garde d'enfants, arrêt maladie, droit de retrait) et des difficultés à assurer le maintien de conditions sanitaires élevées pour les salariés, notamment car les blouses, charlottes et masques, dont l'approvisionnement devient impossible, sont demandés au personnel soignant);
  • les risques de rupture d'approvisionnement dans les emballages dans la mesure où ils sont majoritairement importés (alvéoles pour caisses à légumes, fils pour certains sacs contenant des aliments, etc.). Les grands détaillants ont désormais besoin de plus d'aliments préemballés, tandis que la loi sur l'économie circulaire, paradoxalement il y a quelques mois, a interdit à court terme tous les emballages en plastique;
  • une augmentation des coûts de transport pour les industries alimentaires, difficiles à transférer en aval, notamment en raison des retours de livraison à vide des transporteurs. L'État pourrait couvrir une partie de ce coût supplémentaire pour garantir les approvisionnements. Une autre solution serait de garantir la gratuité des péages, ce qui profiterait à tous les acteurs des secteurs essentiels; les transporteurs, les travailleurs de l'alimentation, mais aussi le personnel infirmier, tout en réduisant les coûts de transport et en améliorant la fluidité des transports;
  • ne pas reporter les déclarations à distance PAC, le risque étant également de reporter les paiements. L'objectif serait plutôt de dématérialiser l'aide et les services offerts par les DDT aux agriculteurs afin de leur apporter le meilleur soutien.

Au niveau de la distribution

  • difficultés de vente de produits dues à la fermeture de certains marchés (RHF, marchés en plein air, etc.)
  • de grandes difficultés dans le secteur horticole, dont certains producteurs réalisent 80% de leurs ventes entre mars et avril – de nombreux producteurs n'ont d'autre choix que d'envoyer leur production à la ferraille sans compensation;
  • risques de désastre économique pour la viande ovine et caprine dont les ventes sont concentrées durant cette période pascale. Une distribution à grande échelle pourrait favoriser la commercialisation des agneaux de Nouvelle-Zélande;
  • baisse très préoccupante des ventes de fromages AOP compte tenu de la fermeture des grands magasins «coupés», du marché RHF et des marchés outdoor. Cela se traduit par un arrêt de la demande des laiteries qui préfèrent vendre leurs stocks.
  • ne pénalisent pas une chaîne d'approvisionnement trop courte
  • l'interdiction des marchés en plein air dans certains départements pose des difficultés de vente importantes pour ces producteurs; des solutions alternatives qui pourraient s'avérer durables après la crise seront mises en œuvre sous couvert d'autorisations publiques (plateforme client numérique – producteur local, drive ou / et livraison à domicile)
  • harmoniser les règles pour que la commercialisation de semences et plantes pour amateurs dans les jardineries soit autorisée partout;
  • Dans les supermarchés, plusieurs préoccupations émergent: les distributeurs devraient privilégier l'approvisionnement national, une mesure qui, si elle est difficile à imposer au niveau national, devrait être appliquée le plus rapidement possible au niveau local au niveau du gérant de magasin;

A plus long terme, la crise nous amène à remettre en cause notre souveraineté et la résilience de l'ensemble de notre chaîne de production alimentaire. La dépendance accrue de notre modèle vis-à-vis des importations doit être réduite en regagnant des parts de marché de la production nationale dans les assiettes des consommateurs français. La crise pourrait accélérer le mouvement, comme c'est actuellement le cas pour la viande bovine, les ménages consommant plus de viande en supermarché ou local, où elle est majoritairement française, ne consomme plus en RHF, où elle est majoritairement majoritairement importée.

Énergie

  • Il existe de sérieuses difficultés liées à la baisse du coût de l'énergie (pétrole, gaz et électricité) imputable en partie à la crise de Covid-19 qui, à première vue, semble positive pour le pouvoir d'achat des consommateurs d'énergie mais, en réalité, est désastreux pour la rentabilité et finalement les investissements des fournisseurs;
  • une baisse de la consommation de biocarburants liée à celle de la consommation de pétrole est également notable, le secteur éprouvant des difficultés, notamment en termes d'approvisionnement en matières premières et de livraison de produits finis, mais pouvant utiliser son savoir-faire pour d'autres usages , comme la production de gel hydroalcoolique par les producteurs de bioéthanol et de glycérine par ceux de biodiesel;
  • Enfin, il existe des problèmes de désorganisation, de livraison et de trésorerie dans le secteur du chauffage au bois.

Logement

  • les propriétaires sociaux risquent d'être confrontés à des difficultés financières importantes si les retards impayés ou techniques dans le paiement des loyers (par chèque ou en espèces) devaient se multiplier;
  • les offices publics du logement demandent un moratoire sur la réforme du logement social (RLS) en cette période de crise, comme pour les autres réformes;
  • il est souhaitable que la Banque des territoires soit en mesure de procéder, le cas échéant, à la suspension du remboursement du prêt ou à apporter son soutien en cas de problème avéré de trésorerie d'un donateur;
  • la reprise des chantiers de construction ou de rénovation est un enjeu important pour le secteur mais les bailleurs et maîtres d'ouvrage sont confrontés à la difficulté de déterminer les responsabilités légales et sanitaires des différents acteurs dans l'arrêt ou la reprise des chantiers dans les circonstances actuelles.

La poste

  • La décision de La Poste de ne livrer la presse que 3 jours par semaine a été critiquée comme unilatérale et préjudiciable aux personnes éloignées et comme constituant une violation de sa mission de service public et d'intérêt général dans le transport et la distribution de la presse, qui est toutefois compensée par l'État, et donc par les contribuables (NB: La Poste estime cependant que cette activité est déficitaire à hauteur de 178 millions d'euros en 2018 après indemnisation de l'État).

Forêt

  • tous les travaux sylvicoles sont arrêtés, ce qui pèsera sur l'approvisionnement de l'ensemble du secteur aval (pour l'approvisionnement en bois des chaufferies, les températures actuelles, assez élevées, permettent de limiter les inconvénients). D'une manière générale, la crise se propage dans l'ensemble du secteur forestier et du bois.