Mélina Robert-Michon, tout pour un disque d’or
Debout fermement sur ses jambes musclées, Mélina Robert-Michon balance son disque d'avant en arrière au ralenti dans un geste mille fois répété. Son tour arrive bientôt. Il est temps de trouver refuge dans votre bulle de concentration. Le spécialiste français du lancer de disque n'entend plus rien, ni la voix du speaker, ni le bruit des discussions venant de la tribune clairsemée du stade Jean-Delbert qui accueille le meeting d'athlétisme, ce 1euh juin à Montreuil. Le visage impassible, sans un regard pour ses adversaires qui la dépassent en poids et en taille, elle vient se placer au centre du cercle de lancer.
Ses muscles entrent en action. Les jambes et les bras tirent le corps dans une volte puissante et détendue. La danse s'accélère, la rotation devient si rapide qu'elle échappe à l'œil de l'observateur non averti. Le temps de reprendre son souffle, le disque laisse ses doigts à plus de 70 km/h, pour mourir aussitôt dans le filet de la zone de lancer. Sa dernière tentative est un échec. Moue de dépit. Le champion de France cherche immédiatement le regard de l'homme au chapeau derrière la barrière : Serge Debié, son entraîneur de toujours. "Vous ne manquez pas grand chose", lui dit l'expert, rassurant.
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Mélina Robert-Michon a terminé 4e du concours de Montreuil avec un jet à 61,39 m, ce qui est loin de la distance nécessaire pour décrocher un podium olympique le 2 août à Tokyo. Au micro, Médaillé d'argent aux Jeux de Rio 2016 parler d'un "Retour correct" rien de plus, après trois mois sans compétition. Les repères manquent, la période est stressante. Une deuxième compétition cinq jours plus tard aux Pays-Bas sera très " chemin ". Inutile d'insister : le sportif confirmé préfère annuler sa tournée de rencontres. "La formation n'est pas encore payante, elle laisse échapper une pointe de frustration dans sa voix. On va retourner travailler. "
Un esprit d'acier
Vu de l'extérieur, rien ne semble pouvoir ébranler son intime conviction, ni le Covid, qui a bouleversé sa préparation olympique suite aux annulations de compétitions et confinements, ni les performances supérieures de ses rivaux. Après deux décennies de compétitions, cinq participations aux Jeux Olympiques dont une médaille, deux podiums aux championnats du monde, 35 titres de champion de France et des milliers d'heures de travail acharné, à 42 ans, elle respire la confiance dans le fer forgé. "Mais je n'ai pas toujours été calme, prévient-elle. L'équilibre n'est pas gravé dans le marbre. C'est un travail quotidien. "
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Comment forger un esprit gagnant ? La réponse passe par un détour par Lyon, sa ville d'adoption. En ce 12 janvier 2021, le froid est vif et le ciel triste comme un jour sans pain. Après avoir déposé ses deux filles à l'école, la discobole récupère à la gare TGV sa responsable communication et mécénat Caroline Angelini, qui accompagne un visiteur. Nous nous blottissons à l'arrière à côté du siège enfant de la plus jeune Enora. La petite voiture blanche prend la direction du stade de Parilly, aux portes de la ville.
Mélina Robert-Michon partage ce grand terrain de jeu ouvert aux quatre vents avec les promeneurs, les sportifs du dimanche et les scolaires. L'hiver, quand le froid lui engourdit les doigts, elle délaisse l'aire de tangage pour un hangar en tôle sans fenêtre dont elle a les clés. A l'intérieur, le fidèle Serge Debié l'attend. Il a déjà allumé un radiateur électrique et allumé les néons fatigués. Ce plombier de formation est l’entraîneur bénévole du champion depuis près d’un quart de siècle.
"Elle n'est pas née championne, elle est devenue"
Tel un vieux couple qui se comprend en quelques mots, le duo répète matin et soir, six jours sur sept, indifférent à la poussière qui colle à la moquette de la salle. "On n'est pas dans le coton ici, on n'est pas à l'Insep (Institut national des sports, NDLR) ", tacle le coach en référence à cette usine à champions qui prépare les athlètes français, au milieu de l'élégant Bois de Vincennes, près de Paris. Mélina Robert-Michon a toujours refusé de s'exiler là-bas malgré les conseils des cadres de la fédération, restant fidèle à sa région, ses parents, ses frères, ses amis et l'équipe qu'elle a choisie.
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Sa confiance s'est façonnée sur les bords du Rhône, pierre après pierre, au rythme d'une carrière d'une rare longévité marquée par la persévérance, dont elle récolte les fruits à l'âge où les sportifs abandonnent traditionnellement le sport de haut niveau. niveau. Son nom figurait parmi les favoris pour le titre honorifique de porte-drapeau de la délégation française à Tokyo, et c'était déjà une victoire pour cette femme discrète, issue d'une discipline sans le sou qui passe complètement sous les radars médiatiques. « Elle mérite tout ce qui lui arrive. Parce qu'elle n'est pas née championne, elle est devenue ", prévient son entraîneur.
Fille d'éleveurs, Mélina Robert-Michon a grandi à Colombe, village de l'Isère à une heure de Lyon. La ferme est un grand terrain de jeu, où elle exerce ses muscles en ramassant des bottes de paille et des bidons de lait de vache. Les Robert Michon, "Camarades" selon leur entourage, cultiver le sens de la famille et transmettre le respect du travail à leurs enfants. "La plus grande qualité d'un athlète est d'être un travailleur", pense Mélina. Elle est à l'aise en judo puis en handball qu'elle pratique dans le cadre d'activités parascolaires. "Le sport m'a aidé à accepter mon grand corps", admet-elle. A 13 ans, elle mesure 1,77 m.
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De quoi dépend le destin d'un athlète ? Très souvent par hasard d'une rencontre. Quand il a eu 15 ans, un professeur d'éducation physique a insisté "Fortement" pour l'adolescent timide de venir au club d'athlétisme de Bourgoin. Elle y teste le poids, puis passe au disque dont le geste gracieux la séduit. Bonne pioche : ses épaules dentelées, ses bras interminables et sa force naturelle l'aident à propulser l'engin plus loin que les autres. A l'époque, le nom de la pianiste et lanceuse Micheline Ostermeyer, dernière médaillée d'or du record de France aux Jeux de Londres en 1948, ne signifiait pas grand-chose pour elle. Mais de succès en succès, la collégienne se prend au jeu…
En avril 1997, Serge Debié reçoit un appel téléphonique. Au téléphone, un cadre de la fédération d'athlétisme lui parle d'une jeune fille de Bourgoin, "Intéressant" qui recherche un entraîneur dans la région. Le gardien du parc de Lyon-Parilly fait partie de ces passionnés d'athlétisme sans qui la France aurait du mal à décrocher des titres. Fou de lancer, il forme gratuitement des jeunes pendant ses week-ends et jours fériés. Avec sa construction de pilier de mêlée, il a lui-même envoyé le disque à un bon niveau. Dès la première rencontre avec Mélina, le courant coule. "Je n'aurais jamais imaginé qu'elle atteindrait ce niveau", reconnaît-il sans détour.
Ces deux enfants de la campagne forts et sobres entament une collaboration qui se poursuit encore aujourd'hui. En vingt-quatre ans de bons et loyaux services, Serge Debié a touché 9 000 €, une somme versée par le Comité National Olympique Français au lendemain de la médaille d'argent de son poulain aux Jeux de Rio 2016. d'autres joies : voyager, rencontrer des gens, respecter ses pairs et surtout le plaisir de voir son athlète de plus en plus épanoui. "Avec Mélina, on s'est construit ensemble", résume-t-il modestement.
Libéré, médaillé
L'autodidacte a tout appris sur le tas. Il feuilletait ici des traités techniques, y observait ses confrères étrangers, demandait conseil, prêt à s'interroger. Ses enfants l'ont initié à l'informatique et à la vidéo. Il pouvait parler pendant des heures de la quête inaccessible du geste parfait. S'il lui arrive d'être en désaccord avec Mélina, ce sympathique passionné de communication n'est pas du genre à "Crier" : « Mélina a fait des choix et s'y est tenue avec une force de caractère exceptionnelle. J'avais d'autres enfants talentueux, mais ils n'avaient pas la motivation. "
Les séances de travail se sont multipliées au fil des saisons, de trois fois par semaine à tous les jours, puis deux séances quotidiennes, entre deux stages de management sportif. Si en France, cette graine de champion écrase la concurrence, les podiums internationaux dans les années 2000 font confiance à des nations fortes au lancer : Allemagne, Russie, Cuba…
« À ses débuts, Mélina était une bonne athlète à l'entraînement et moins compétitive, se souvient Serge Debié. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire. " Une étape psychologique a été franchie en 2007 lors d'un stage en Afrique du Sud. Pour la première fois, elle s'entraîne avec les meilleurs de la discipline. « Ce voyage l'a rendue décomplexée.
La future médaillée olympique a également fait un choix radical en 2009. Cette année-là, la jeune femme a quitté un emploi aménagé au ministère de la Défense pour tenter de vivre de sa passion : la voici professionnelle, avec un salaire de 1 200 € versé par la Fédération. . Le pari est risqué : "Le disque ne paie pas", nous lui disons depuis des années. Les sponsors viendront enfin sur les podiums. "Ce choix a conditionné la suite de ma carrière", elle pense. Libérée de ses contraintes de bureau, la jeune femme n'est plus distraite de ses objectifs ultimes. Son dévouement au disque devient alors Conseil Chauffage.
"Un champion est un chef d'entreprise qui cherche des compétences à l'extérieur"
La vie d'un champion est pleine de rituels et d'habitudes dont on bannit grossièrement. Il y a le décollage avec Serge Debié puis la préparation physique sous la direction de Jérôme Simian. L'antre de celui qui s'occupe aussi du décathlète Kevin Mayer est caché dans un immeuble à 8e quartier lyonnais. Il y dirige une salle de musculation austère de 40 m.2, garni d'une douzaine de machines et de rangées d'haltères à peinture écaillée. "Mélina est un tempérament, précise cette quarantaine. Elle est toujours sérieuse, je n'ai pas besoin de la ranimer. "
Jérôme Simian a commencé à travailler avec le discobole en 1998 au retour d'une expérience dans une université américaine. Il cherchait des athlètes pour mettre en pratique ses idées iconoclastes. Elle se demandait après une vilaine entorse à la cheville. Ils ont marché ensemble et il n'y a jamais eu de rechute. "Un champion est un chef d'entreprise qui sort pour trouver les compétences dont il a besoin", résume cet passionné. Avec Serge Debié, ils se réunissent chaque année pour réfléchir à un programme de renforcement musculaire adapté.
Mélina n'aime pas trop l'exercice physique et sans le parfum de la compétition, elle n'irait pas toute seule soulever de la fonte dans une pièce étroite, nous dit-elle. Le sport à ces altitudes n'est pas confortable si vous voulez construire un corps de chasseur de médailles. Pendant la séance, l'électrostimulateur qu'elle colle sur ses cuisses et son torse, soit pour récupérer soit pour se muscler, la fait grimacer. L'appareil est réglé sur la fonction haute intensité et les charges électriques qu'il envoie dépassent le seuil de résistance à la douleur des gens ordinaires.
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Entre deux étirements, Mélina et Jérôme discutent d'une gêne ressentie il y a quelques jours. Chaque athlète professionnel est à l'écoute de ses sentiments. La moindre douleur l'interroge. "J'anticipe beaucoup", confie-t-elle. Son corps possède un capital éphémère et fragile qu'elle ne peut gaspiller, encore moins à 42 ans. "On parle de son âge, mais elle va mieux maintenant qu'il y a vingt ans, jure son préparateur physique. Elle est plus forte, plus rapide. Nous veillons à lui donner des charges de travail adaptées à ses besoins et à son physique. "
Mélina Robert-Michon a largement échappé aux blessures au cours de sa carrière internationale qui a débuté il y a 23 ans. Elle l'attribue à ses entraîneurs qui privilégiaient les entraînements courts et intenses, ainsi qu'à son hygiène de vie, à sa technique de lancer, à sa relaxation… A l'entendre, la blessure n'est pas vraiment une histoire de malchance. "En 2015, j'étais particulièrement tendu, alors je me suis fait mal au dos, elle décrypte. J'ai mal dormi, j'étais dans une spirale négative et j'ai raté les championnats du monde où j'étais le favori. "
Cet échec a servi de détonateur. Au sein de sa garde rapprochée, une femme est venue lui prêter main forte afin de renforcer son mental : Meriem Salmi, la psychologue des champions. Le spécialiste a un carnet de patients parsemé de trophées : le judoka Teddy Riner, le pilote de Formule 1 Romain Grosjean, le navigateur Jérémie Beyou, le golfeur Mike Lorenzo-Vera, le rugbyman Maxime Machenaud, l'escrimeuse Astrid Guyart, la nageuse Charlotte Cap…
Acceptez de confier votre cerveau
« Le monde du sport de haut niveau est particulièrement éprouvant sur le plan émotionnel, note Meriem Salmi. La recherche de la performance peut créer de l'anxiété. Plus on avance, plus on est fragile. " Les athlètes ont des capacités extraordinaires à résister aux souffrances physiques et psychologiques, tout en étant ultra sensibles. "On ne sait pas les coulisses, quand ils enchaînent les contre-performances, les descentes aux enfers, poursuit le spécialiste. Même si elle est calme, réfléchie, calme, humble, Mélina a encore quelques turbulences à gérer. "
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Le discobole a dû forcer sa nature réservée et prudente avant qu'elle « Confiez votre cerveau » à un psychologue. Une fois la confiance établie, elle s'y investit sans retenue comme dans toutes les choses qu'elle juge utiles pour atteindre les sommets. Il y a des séances régulières et celles où le duo passe en revue tous les paramètres à l'approche d'une compétition : l'environnement familial, les relations avec l'entraîneur, la condition physique et psychologique, les routines, semer la douleur. le doute…
"Le stress peut arriver à tout moment sans avertissement, Mélina témoigne. Et puis on perd en lucidité. Le travail psychologique m'a permis de dédramatiser et de me recentrer sur la réalité. Je suis plus en phase avec qui je suis. J'ai gagné en confiance et je me sens beaucoup mieux dans ma peau. " Un an après le début de sa collaboration avec Meriem Salmi, elle remporte sa première médaille olympique aux Jeux de Rio.
Leur échange dépasse le cadre de la simple préparation mentale que l'on utilise aujourd'hui presque systématiquement dans le sport de haut niveau : la discussion englobe la vie de femme, de mère, de championne, les relations avec l'entraîneur… Selon Meriem Salmi, "La performance est le résultat de l'harmonie, tout est important". Il suffit qu'une des deux filles de Mélina tombe malade, que les nuits blanches s'enchaînent, que la fatigue s'accumule, que l'esprit ne soit pas sur le disque et que les lancers en pâtissent.
Être mère, un clic
A l'inverse, l'environnement familial a aussi des vertus énergisantes. Mélina a réalisé son meilleur lancer de l'année à la mi-juin, en fin de week-end où elle a célébré la communion de son aînée Elyssa. De retour chez elle, au milieu de sa famille, elle a pu se ressourcer en oubliant un peu le disque. " Il n'y a pas de danger ", commente son entraîneur. Les meilleurs résultats de Mélina sont survenus dans les années qui ont suivi la naissance de sa fille. "Ma première grossesse a cliqué", elle pense.
Entre le focus et le record, sa vie est chronométrée. Se lever, préparer les enfants, les emmener à l'école, courir, se muscler, déjeuner, récupérer, s'entraîner, se muscler, s'occuper des filles, devoirs, cuisiner, dîner, répondre aux e-mails, donner des interviews, préparer des voyages, communiquer sur Instagram avec le public, et enfin dormir. " Sans Loïc, je ne pourrai pas le faire", confie-t-elle. Loïc est le compagnon et le père de ses enfants, un ancien lanceur au torse de centaure, dont la pratique ostéopathique est collée à la salle de musculation où s'exerce son compagnon.
"Mon rôle est de l'accompagner et de la soutenir, nous allons tous dans le même sens", explique-t-il, un peu gêné. Au fil du temps, il a appris à trouver le mot d'encouragement lorsque son partenaire lui pose des questions. " Parfois, dit-il en riant, la meilleure réponse est de ne rien dire". Il gère la vie quotidienne dans le pavillon qu'ils ont acheté à crédit, pendant les longues absences de Mélina.
« Mélina n'est pas dans une logique narcissique. Tout est dans la passion.
Sa maternité a créé une brèche dans les préjugés profondément enracinés du monde du sport. Les femmes ici étouffent généralement leur désir d'enfant de peur que l'arrêt prolongé dû à la grossesse ne détruise des années d'efforts. "Je me souviens d'avoir pleuré quand je suis retourné au gymnase, dit Mélina. Je vais recommencer à zéro. Mais j'ai repris avec une motivation accrue à chaque fois. Ces coupes m'ont enfin permis de continuer. "
Après deux décennies, Mélina ne se lasse pas de cette vie rigoureuse au point de viser les Jeux de Paris en 2024. Refusant les clichés sur les sacrifices des athlètes, elle s'estime chanceuse de vivre de sa passion. "Mon père travaillait beaucoup à la ferme et je l'ai toujours vu le faire avec plaisir", se souvient-elle. Son psychologue parle d'une histoire d'amour avec le lancer du disque. "Sa discipline n'est pas valorisée, se souvient-elle. Il n'y a pas d'argent, pas de couverture médiatique. Mélina ne suit pas une logique narcissique. Tout est question de passion. "
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Le discobole est prêt à endurer des années de dur labeur pour quelques heures d'ivresse, ces moments d'exception où un champion entre dans un état proche de l'extase. Aux Jeux de Rio, la lanceuse, qui n'était pas limitée par son corps, sa technique ou ses doutes, a frôlé la parfaite harmonie avec un disque à 66,73 m. En remportant la médaille d'argent, Mélina dit avoir reçu un "Grande montée d'adrénaline". « Le stress de la compétition, les enjeux, la fierté et la joie de vos proches, tout est amplifié. Après la naissance de mes filles, ce sont les émotions les plus fortes que j'ai vécues.
C'est pour revivre ces moments d'extase qu'elle s'inflige toute cette autodiscipline, ces exercices austères, ces repas calibrés, ou encore ces stages loin de sa famille qu'elle a accumulés en cette année olympique. On la rencontre au stade de Saint-Raphaël en février, à la recherche du geste parfait. "A Tokyo, l'or se jouera à 70m", nous explique-t-elle sous le regard de Serge Debié et Thierry Cristel, cadre technique de la fédération française qui conseille le duo depuis vingt ans. Le ciel est doux, le moral est au beau fixe. Détendue et concentrée, Mélina envoie les disques au-delà de 60 m. "C'est une séance importante, nous sommes dans la vérité", lâche Serge Debié.
Dans la matinée, ils ont dû subir un test Covid-19, une énième année secouée par l'épidémie, entre les Jeux déplacés, les compétitions annulées, les stages en Afrique du Sud et à La Réunion annulés, les réunions publiques reportées…
Dans cette extraordinaire préparation olympique, Mélina Robert-Michon a glissé les frustrations en s'adaptant au jour le jour. Avec un lancer de 65,8 m effectué le 19 juin au stade de Lyon-Parilly, elle figure dans le top 10 des meilleures performances de la saison, mais reste cependant à quatre mètres du podium.
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Pas assez pour ébranler cette force tranquille : "Le jour J, tous les compteurs seront remis à zéro", prévient-elle. A Tokyo, le 2 août, la médaille se jouera dans l'esprit, dans cette capacité à rivaliser avec soi-même et les autres. Mélina Robert-Michon visera à nouveau l'harmonie, entre maîtrise et détente, le corps bien accordé à la technique mille fois répétée, le bras libéré des freins de l'esprit, le geste le plus naturel possible. Et le disque s'envolera.
Tout le monde se souvient de la statue de l'athlète nu, glabre, la tête tournée vers la gauche, prêt à lancer son disque. Ce marbre attribué au sculpteur athénien Myron, au Ve siècle avant JC, est l'un des plus célèbres de l'Antiquité. Il témoigne de la très ancienne tradition des lanceurs de disque, diskobolos en grec, discipline des Jeux antiques revenue à la mode au XIXe siècle.e siècle.
Chez les Grecs et les Romains, le disque pesait entre 1 kg pour les adolescents et 4 kg pour les hommes. Lors de l'évaluation finale, nous avons noté la distance parcourue par la sphère, qui était alors en pierre ou en métal, mais aussi le style du lanceur. Au cours des 70e Olympiade, cinq cents ans avant JC, un discobole lance à plus de 29 mètres, le premier record qui nous est parvenu.
Le lancer de disque fait son retour aux premiers Jeux modernes, organisés en 1896 à Athènes. C'est l'un des quatre lancers en athlétisme avec marteau, poids et javelot. Le projectile, en bois ou en plastique entouré d'un cercle métallique, pèse 2 kg pour les hommes et 1 kg pour les femmes. Chaque tentative est réalisée dans un cercle de ciment de 2,5 m de diamètre, entouré d'un anneau métallique.
Le discobole ne doit pas quitter cette zone avant que son engin ne touche le sol sous peine de voir son lancer annulé. Dans une compétition, les athlètes ont droit à trois essais et trois autres essais pour les huit premiers. Historiquement, les Allemands, les Russes, les Cubains, les Américains et récemment les Croates avec Sandra Perkovik dominent la discipline.
Les records du monde sont détenus par des athlètes de l'ex-Allemagne de l'Est, tant chez les hommes que chez les femmes : Jürgen Schult avec 74,08 m, le 6 juin 1986 et Gabriele Reinsch, 76,80 m, le 9 juillet 1988. Ces deux performances réalisées au cours de la période du dopage organisé en RDA ont une crédibilité très contestée. Ils semblent hors de portée des sportifs en ce début de XXIe siècle.