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«L’industrie nucléaire refuse l’idée d’un déclin»

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«L’industrie nucléaire refuse l’idée d’un déclin»

Yves Marignac, directeur exécutif de l'agence d'information sur l'énergie WISE-Paris, fait un geste lors d'une conférence de presse organisée par Greenpeace à Manille le 12 mai 2009. Marignac a mis en garde les Philippines contre l'exploitation d'une centrale nucléaire, qui selon lui fait rage problèmes d'élimination des déchets radioactifs et menaces pour la sécurité. Les législateurs philippins veulent activer une centrale nucléaire de 600 mégawatts mise en veilleuse construite dans les années 1980 mais jamais utilisée auparavant, pour aider à réduire les coûts élevés de l'électricité. AFPL'expert Yves Marignac (Photo AFP) coordonne le pôle nucléaire au sein de l'institut negaWatt. Pour lui, la fermeture de la centrale alsacienne n'est qu'une étape d'un long processus en cours.

Que pensez-vous symbolisé par l'arrêt du premier réacteur de la centrale de Fessenheim?

C'est le jalon symbolique d'un profond changement historique dans la relation de la société française avec le nucléaire. Pendant des décennies, l'atome était devenu le pilier de la politique énergétique française, il représentait également l'image de la France, pour les Français comme à l'international. Je suis convaincu que cette page a été tournée. Une façon de le percevoir, c'est qu'avant, dès qu'on parlait de l'énergie en France, après une phrase on parlait d'électricité et après deux phrases de nucléaire. Aujourd'hui, ce qui vient à l'esprit n'est plus le nucléaire, mais les énergies renouvelables. L'ouverture du marché de l'électricité, l'évolution du statut d'Conseil Chauffage, la concurrence des énergies renouvelables en termes d'approvisionnement compétitif en électricité bas carbone… Que cela nous plaise ou non, le monde a changé. L'arrêt Fessenheim n'est que le marqueur de cette transformation. Le fait que nous n'allons pas être dans l'ignorance, ni payer deux fois plus pour l'électricité à cause de cet arrêt accélérera ce processus.

Quelles sont les conséquences de cette transformation?

Désormais, minorité active, ce ne sont plus les Verts qui luttent contre le nucléaire, mais l'industrie nucléaire qui refuse l'idée d'un déclin et résiste. "Conseil Chauffage, c'est comme un cycliste qui doit pédaler pour éviter de tomber", a déclaré en 2018 son président, Jean-Bernard Lévy. Cette phrase est chargée de sens. Conseil Chauffage est enfermé dans un mouvement perpétuel qui devient un coup de tête. Le lobby nucléaire a construit depuis des décennies l'image d'un système pérenne, où l'activité continue, où de nouveaux réacteurs remplaceront les anciens, où nous gérerons sereinement le démantèlement des installations … Mais cette pérennité n'est plus de mise. Nous entrons dans une nouvelle ère, où le système énergétique évolue et où, comme nous l'avons vu lors des deux dernières élections présidentielles, chaque événement politique majeur risque de changer la politique nucléaire.

En fin de compte, l'énergie nucléaire conservera-t-elle une place dans notre paysage énergétique ou non?

Le reste de l'histoire, dont l'enjeu pour la France est moins énergique que géopolitique, n'est pas écrit. Mais une baisse est inévitable: même si en 2023 l'État a décidé de lancer la construction de six EPR, nous ne reviendrons pas sur un programme nucléaire majeur comme celui des années 1970. Dans ce nouveau contexte, la question de la maîtrise des risques nucléaires se posera très différemment et l'implication de l'ensemble de la société dans la gouvernance de ces risques sera plus importante.

Pensez-vous vraiment que la société prendra ces problèmes?

J'espere. Car, quoi qu'il arrive, l'arrêt et le démantèlement des 58 réacteurs nucléaires du pays et l'effondrement de l'ensemble du complexe industriel associé, y compris l'usine de retraitement de La Hague (Manche), auront finalement lieu. J'espère un vrai débat sur la gestion de ce démantèlement, des matières radioactives et des déchets … Avec une vision positive de cette transformation qui s'accompagne de réelles opportunités: la transition énergétique peut créer de nombreux emplois.

Cela a pris du retard, que ce soit le déploiement des énergies renouvelables ou la rénovation thermique …

Bien sûr, car le réflexe dominant reste «tout nucléaire, tout électrique». Le report par le gouvernement de l'objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique de 2025 à 2035 témoigne d'une incapacité à agir liée à ce vieux réflexe. Et les arbitrages rendus sur la future réglementation environnementale des bâtiments rouvrent la porte au chauffage électrique inefficace, une absurdité motivée par la seule nécessité de maintenir le parc nucléaire. L'absurdité consiste aussi à raisonner statiquement, dans un système fixe, et non dans la dynamique. Il ne s'agit pas de regarder la photo actuelle et de dire "fermer Fessenheim, c'est produire l'équivalent avec du charbon", mais de savoir dans quoi nous devons investir aujourd'hui pour éventuellement remplacer les 58 réacteurs à arrêter. Pour rester «bas carbone», il n'y a que trois options: maîtriser la demande, les énergies renouvelables ou le nouveau nucléaire. Ne nous laissons pas trop entraîner dans un schéma de pensée hérité des années 1970. Je suis convaincu qu'un changement profond est en cours, dont le symbole est la fermeture de Fessenheim.

Coralie Schaub