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L’enjeu des réseaux de chaleur renouvelable

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L’enjeu des réseaux de chaleur renouvelable

Éclairage par Serge Defaye pour L'usine écologique.

Les réseaux de chaleur sont constitués d'une chaufferie centrale (ou plus), de conduites de retour et de départ souterraines et pré-isolées et de sous-stations d'échange et de comptage au pied du bâtiment (Figure 1).

Contrairement aux chaudières fonctionnant aux combustibles liquides ou gazeux (fioul domestique ou gaz naturel), dédiées aux bâtiments à chauffer ou aux convecteurs électriques, cette configuration est requise pour les combustibles solides (bois énergie), la géothermie profonde, ou la récupération de chaleur fatale: incinération , procédé industriel, cogénération au gaz naturel ou au biogaz….

En effet, il est impensable, par exemple, de créer dans une zone urbanisée autant de systèmes de chauffage au bois, ou puits géothermiques, qu'il y a de bâtiments ou d'établissements en question. Il s'agit donc d'une forme de production / distribution d'énergie thermique locale, mais centralisée au niveau d'une ville, d'un quartier ou maintenant d'une grande ville rurale.

En France, le chauffage urbain est ancien: le réseau parisien a été créé en 1928! Malgré un fort développement autour des ZAC dans les années 1960 et 1970 et une relance au tournant des années 2010, son poids dans l'offre de chaleur reste modeste: 760 unités en 2017 pour une livraison de 25 TWh (sur une consommation totale légèrement supérieure à 500 TWh). Côté positif: la part des énergies renouvelables et récupérées dépasse désormais les 50% et augmente d'année en année.

Par exemple, le parc de chaudières à bois de plus de 1 MW en 2018 concernait près de 350 réseaux de chaleur, dont ceux alimentés par une unité de cogénération. La capacité installée était d'environ 2 235 MWth.

Figure 1: Principes techniques d'un réseau de chaleur renouvelable

En matière de développement des réseaux de chaleur urbaine alimentés par les énergies renouvelables, les objectifs de la transition énergétique à l'horizon 2030 sont très ambitieux: 40 TWh, soit une croissance de 60% en 10 ans.

En Europe du Nord, les réseaux de chaleur sont beaucoup plus développés, pour des raisons climatiques évidentes, mais aussi en raison du choix de politiques énergétiques favorisant une forme de production / distribution de chaleur permettant de s'appuyer fortement sur les sources renouvelables. En Suède, la taxe carbone, instituée il y a près de 30 ans et qui atteint 125 € / tonne de CO2, a eu un effet de levier très fort sur le développement des réseaux de chaleur, en particulier pour le bois (graphique 4).

Figure 2 et 3: Inventaire des chaudières à bois> 1 MW en France

Figure 4: Composition du mix énergétique des réseaux de chauffage urbain en Suède

L'émergente renouvelable en concurrence avec le fossile existant

Les combustibles fossiles liquides ou gazeux présentent des défauts macroéconomiques et environnementaux bien documentés. Au contraire, de nombreux arguments militent en faveur de la chaleur renouvelable via des réseaux à créer ou à étendre: économies d'énergies fossiles, valorisation des ressources forestières, lutte contre l'effet de serre et protection de l'environnement, aménagement du territoire. et développement local, économie circulaire, création d'emplois locaux… (Figure 5).

Cependant, il y a des difficultés: lorsqu'une collectivité décide de créer un réseau de chaleur sur son territoire, elle s'engage dans un processus complexe et long, qui s'étalera sur plusieurs années et peut s'avérer infructueux.

Pour les utilisateurs, initialement approchés par l'établissement, le raccordement à un réseau de chaleur est en principe simple. Mais cela implique un engagement à long terme et inflexible. C'est un handicap, particulièrement vrai pour le secteur privé, mais parfois aussi pour les établissements publics ou encore les logements collectifs.

Pour les utilisateurs, les carburants liquides ou gazeux et l'électricité ont un avantage évident: ils se voient livrer chez eux un produit «prêt à l'emploi», qu'ils peuvent abandonner ou ajuster à tout moment, ou conserver mais changer. fournisseur.

Ces «installations» appréciées des décideurs en charge de la maîtrise de l'énergie sur le terrain sont soutenues par la déréglementation des marchés de l'énergie, qui permet désormais de mettre en concurrence les fournisseurs et de les faire évoluer. Cela n'est pas possible avec le réseau de chaleur, qui s'inscrit dans une démarche patrimoniale de long terme et de solidarité entre les acteurs du territoire.

L'alternative renouvelable, même lorsqu'elle réussit à démontrer son intérêt économique par rapport à la référence fossile existante, n'est pas forcément vue favorablement par tous les utilisateurs potentiels: certains considèrent que l'appartenance au réseau, nécessitant un abonnement contraignant de longue durée, les prive de leur liberté de choix. Cette situation illustre les difficultés de mise en cohérence du droit de la concurrence avec le déploiement de solutions durables.

Figure 5: Avantages des réseaux de chaleur renouvelables

Les particularités juridiques des réseaux de chaleur

D'un point de vue juridique, le réseau de chaleur est un service public à caractère industriel et commercial dont la mise en œuvre relève de la responsabilité de la collectivité ou d'un EPCI auquel il adhère, sous gestion directe (contrôle), ou sous gestion déléguée (DSP ).

Il s'agit d'une compétence facultative pour la communauté. Bien qu'elle soit explicitement prévue par la loi (Code général des collectivités territoriales), de nombreux élus ignorent cette option ou ne souhaitent tout simplement pas l'exercer. C'est un point de blocage à surmonter puisque le maire et / ou les membres du conseil municipal doivent être convaincus de l'intérêt de la démarche, donc informés / sensibilisés par des spécialistes (ADEME, associations pour le développement des énergies renouvelables, entreprises de la représentants du secteur de l’énergie, de la forêt ou du bois). Cette phase préliminaire devrait permettre à la collectivité locale de s'approprier ce type de projet, alors que la consommation du patrimoine communal ou communautaire représente une petite partie de l'énergie totale qui sera distribuée par le futur réseau (souvent de l'ordre de 10% ).

La deuxième particularité concerne le caractère optionnel du raccordement des futurs utilisateurs, contrairement à d'autres services publics comme l'assainissement collectif qui sont obligatoires. Le futur utilisateur d'un réseau de chauffage urbain est déjà chauffé par une autre source d'énergie. Rien à voir donc avec l'électrification ou l'approvisionnement en eau dans les campagnes des années 50, attendues alors comme le messie!

L'utilisateur potentiel doit être approché par la commune (direction) ou son exploitant (DSP) dans le cadre d'une phase dite de commercialisation, avant le début des travaux. L'accord du futur abonné quant à son passage au réseau de chaleur se fait généralement sur la base d'une comparaison, en coût global, entre la référence fossile (ou électricité) et l'alternative renouvelable.

Cette comparaison entre solutions centralisées (réseau) et décentralisées (chaudières à combustible liquide ou gazeux) est difficile à transmettre aux futurs utilisateurs. Tout d'abord, il faut leur présenter de manière pédagogique le réseau de chaleur et leur démontrer que le service rendu comprend l'ensemble des charges d'amortissement du carburant, de fonctionnement et des équipements (en sous-station). Enfin, comparez ces coûts agrégés avec ceux du combustible de référence, plus les coûts d'entretien et de renouvellement de la chaudière existante.

Ensuite, il faut faire accepter une tarification où le poids de l'abonnement (frais fixes d'amortissement et d'exploitation) est très lourd (plus de 50% de la facture totale – Figure 6), contrairement à ce qui prévaut avec le gaz ou l'électricité que tout le monde a en tête comme point de comparaison. Cette structure tarifaire, protégeant le service public local non partagé, en partie décorrélée du niveau de consommation observé et d'éventuels efforts d'économie d'énergie, n'est pas bien acceptée par certains utilisateurs.

Figure 6: Structures de coûts comparées entre la situation de référence gaz et le réseau renouvelable (exemple du bois énergie)

Un projet de réseau de chauffage urbain n'est viable que si la grande majorité des utilisateurs approchés dans le premier établissement y adhère. Les raisons d'un refus de connexion ne sont pas seulement financières mais découlent également d'autres considérations, notamment comme nous l'avons rappelé d'un engagement à long terme, en contradiction possible avec l'avenir de l'entreprise ou du bâtiment, voire la situation familiale dans le cas des maisons privées.

Aucun réseau de chaleur ne se crée donc sans une longue concertation avec les usagers et sans leur soutien majoritaire, sous l'égide de la communauté et dans une ambiance plutôt consensuelle.

Un processus démocratique, mais complexe et long

C'est un euphémisme de dire que la production / distribution d'énergie centralisée n'a jamais fait l'objet d'un débat démocratique réel et large. Leurs périmètres ont toujours fait partie du domaine réservé de l'État (nucléaire) et / ou ont été l'apanage des grandes entreprises multinationales (pétrole et gaz), avec ou sans capitaux publics.

Ce n'est pas le cas de la chaleur renouvelable: sa mise en œuvre, via un réseau de chaleur, suppose un bel exercice de démocratie locale participative et nous ne pouvons que nous en féliciter. Avec la contrepartie d'un processus (trop) long, des études initiales à la mise en service des installations!

A partir de la décision de principe, la communauté doit choisir un mode de gestion, souvent la gestion pour les petites communes faute d'opérateurs compte tenu de la taille modeste du projet, plutôt la délégation de service public (concession) pour les villes moyennes et grandes. où des entreprises spécialisées se positionnent en réponse à une consultation.

Les communes ont la possibilité de transférer leur compétence à un EPCI de type union de l'énergie, mais un tel transfert n'est actuellement ouvert qu'à un petit tiers du territoire hexagonal.

Pour les deux modes de gestion, les étapes technico-économiques et juridico-contractuelles sont assez similaires. Sauf que, sous gestion, c'est la communauté qui assume les relations et les responsabilités avec les différents partenaires (bureau d'études, entreprises de construction, exploitant et fournisseur de combustible) et bien sûr avec les futurs utilisateurs.

Dans le cas d'une concession, il délègue ces missions mais est responsable du choix d'un prestataire, à l'issue d'une procédure de mise en concurrence prévue par la loi Sapin de 1992, modifiée par l'ordonnance de janvier. 2016. Il a également le droit et le devoir de contrôler le délégataire.

L'engagement et la rigueur de la part des élus, de leurs assistants et autres partenaires sont essentiels dans toutes les phases du processus: études préalables, construction, financement, exploitation / gestion à long terme. A chaque étape, il est nécessaire d'évaluer correctement les risques sur les charges et sur les produits. Comme le dit le proverbe "le diable est dans les détails".

Les risques sur les charges peuvent résulter de choix techniques initiaux (surdimensionnement) et / ou d'une sous-estimation des investissements et provisions pour gros entretien / réparation.

Dans le cas des réseaux alimentés par des chaudières à bois, une vigilance particulière doit être exercée sur le contrat de fourniture de combustible (quantité, qualité, prix, indexation, etc.).

Les risques sur les produits surviennent si la commercialisation des politiques d'abonnement a été insuffisante et / ou lors d'une restructuration urbaine, travaux importants d'isolation des logements (légitimes également en termes d'efficacité énergétique), de la baisse d'activité ou de la disparition des une entreprise cliente. Bien entendu, ces difficultés sont plus faciles à surmonter lorsque le réseau peut être redéployé, ce qui nécessite alors des investissements supplémentaires.

Les raisons qui justifient le développement des réseaux de chaleur renouvelables restent (aménagement du territoire et gestion raisonnée des espaces forestiers, développement de l'économie locale, réduction des émissions de gaz à effet de serre…). Mais deux obstacles majeurs doivent être levés aujourd'hui, la compétitivité des énergies renouvelables par rapport aux références fossiles et le financement public et privé d'investissements lourds qui ne peuvent être amortis que sur le long terme.

Un développement contrarié, face à une situation énergétique déprimée

La phase de commercialisation est d'autant plus longue (et les résultats incertains) que les prix des énergies fossiles sont bas et / ou à la baisse. Le développement des réseaux de chaleur a donc été plus facile et plus rapide dans le contexte qui prévalait il y a quelques années, lorsque le prix du baril de pétrole était supérieur à 100 $ et celui du gaz naturel beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui.

Figure 7: Evolution du baril de pétrole Brent en $ / baril

Chiffre 8: Evolution des tarifs réglementés du gaz d'Conseil Chauffage depuis 2009

La forte dynamique de la fin des années 2000 / début 2010 est au point mort, depuis la forte baisse du prix du pétrole et surtout du gaz naturel. Les projets bois, par exemple, comme leur financement public (Fonds Chaleur), ont fortement baissé: les opérations initiées en 2018 ont été divisées par 4 par rapport à l'année record de 2010 (en TWh / an).

Figure 9: Développement des projets biomasse et des interventions du Fonds chaleur pendant 10 ans

Exemple de projet de réseau de chauffage urbain ENR en 2019

Pour concrétiser un projet de réseau de chaleur, le prix de la solution renouvelable doit être nettement inférieur à celui des équipements fioul ou gaz en place, en moyenne d'au moins 10% et même un peu plus pour certains utilisateurs comme les bailleurs sociaux. Exemple. Ce différentiel dépend du niveau du prix de référence de l'énergie, qui fluctue d'une période à l'autre.

Deux mécanismes de soutien public (subventions aux travaux et TVA à taux réduit) abaissent automatiquement le prix de la chaleur renouvelable d'environ 20 à 25% pour un réseau de taille moyenne distribuant 20 GWh d'énergie thermique par an.

Actuellement, l'effet cumulatif de ces deux dispositifs permet de ramener le prix du MWh utile plus ou moins au niveau du gaz naturel, y compris la taxe carbone 2018. En raison de ce manque de différence entre la référence fossile et l'alternative renouvelable, on constate que certains utilisateurs potentiels refusent de signer leur politique d'abonnement! (Figure 10).

Figure 10: Impacts du Fonds Chaleur et TVA 5,5% sur le coût final de la chaleur des réseaux d'énergies renouvelables et comparaison avec la référence gaz en fonction du niveau de contribution climat énergie, taxe carbone

Conclusion

Actuellement, la création d'un réseau de chaleur renouvelable, de la prise de décision initiale à la mise en service, s'étend sur de nombreuses années, alors que le processus ne s'avère pas simplement un échec. Le processus est très complexe et l'achèvement d'un projet trop long. Le succès d'un réseau de chaleur renouvelable dépend aussi beaucoup de l'engagement du maire (ou du président) et des élus qui doivent être très motivés et proactifs.

Pour mener à bien ces projets, ces élus doivent obtenir un consensus global au sein du conseil municipal (ou communautaire) et le soutien d'une majorité des abonnés potentiels! Il faut donc mieux accompagner les élus locaux si l'on veut atteindre les objectifs ambitieux de l'Union européenne et des pouvoirs publics français en matière de changement énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre!

Plus précisément, les pouvoirs publics doivent travailler aux côtés des collectivités territoriales et des acteurs économiques pour surmonter deux difficultés majeures auxquelles sont confrontés les promoteurs et les acteurs de la chaleur renouvelable:compétitivité ; en l'absence de hausse du prix de base des énergies fossiles, cela passe par une taxation du carbone, dans la voie initialement prévue par le parlement, mais avec une compensation financière pour les plus faibles; Financement public et privé ; ceux-ci doivent être agrégés et simplifiés, via des opérateurs régionaux, soutenus par un fonds de péréquation / garantie au niveau national.