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Ils se préparent à l’«effondrement» : plongée dans le quotidien d’un survivaliste

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Ils se préparent à l’«effondrement» : plongée dans le quotidien d’un survivaliste

Dans leur jargon, les initiés parlent de «base autonome durable». Malgré l'apparence d'un pavillon ordinaire, avec ses poutres apparentes et son petit jardin sur la campagne environnante, la maison de Bruno à Pouilly-les-Nonains, près de Rouanne (Loire), est presque aussi sûre qu'un bunker.

Selon un sondage Ifop réalisé début février pour la Fondation Jean-Jaurès, près des deux tiers des Français pensent que "la civilisation telle que nous la connaissons va s'effondrer dans les années à venir".

Un troisième imagine que ce scénario se produira dans 20 ans. Bruno, en revanche, a misé sur un délai encore plus court, peut-être "moins de cinq ans". Alors il se prépare. A 59 ans, il est ce qu'on appelle un "survivaliste".

"Aujourd'hui, le survivalisme, ça passe de l'Américain armé au gars qui élève des chèvres dans le Larzac et songe à former une communauté végétalienne verte", explique-t-il. À chaque fois, la philosophie reste la même: anticiper un changement drastique dans le fonctionnement de notre société, dans lequel chacun serait désormais livré à lui-même.

"Préparez-vous au pire, espérez le meilleur"

Pour Bruno, cela consiste avant tout à envisager tous les types de catastrophes envisageables et à agir en conséquence: pandémie, crise économique ou climatique, guerre civile … "Se préparer au pire, espérer le meilleur", dit son slogan.

Cet ancien visage anguleux CRS, aux cheveux courts grisonnants et aux yeux clairs n'a pas attendu l'Organisation mondiale de la santé pour qualifier le coronavirus Covid-19 de "menace très grave" pour la planète prendre les devants.

Vêtu de sa toison verte, d'un bandana et d'un pantalon assorti, de chaussures de trekking, celui qui aime être surnommé "Shark", "shark" en anglais, erre dans l'impressionnant atelier qu'il a construit en hauteur dans son hangar.

Là, dans ces cinquante ou soixante mètres carrés perchés à plus de deux mètres du sol, au milieu de treillis militaires et d'établissements en tout genre, il stocke masques en papier, gants, lunettes de protection ou masques à gaz.

Dans son stock, Bruno a de quoi faire face à toutes les situations de crise: masque à gaz, gants, bandages ... LP / Olivier Lejeune
Dans son stock, Bruno a de quoi faire face à toutes les situations de crise: masque à gaz, gants, bandages … LP / Olivier Lejeune

Dans de grandes boîtes en plastique sont également stockés des talkies-walkies, du matériel médical et d'innombrables couteaux. Ce n'est qu'une infime partie de ce que Bruno, dans son hyper-prévoyance, a mis en place. Sa maison elle-même est conçue pour l'autosuffisance qui dure plusieurs semaines, "le temps de devenir vraiment indépendant".

Potager, poules et conserves

Deux bassins de récupération d'eau de 1000 litres sont stockés dans son jardin. Des poules, des cannes et des oies s'y promènent pour lui apporter des œufs. Dans un potager, il cultive des légumes, notamment ceux qui "durent tout l'hiver" comme "les carottes, les citrouilles ou les navets". Sans parler de ses réserves de conserves, de riz ou de pâtes.

"Il faut savoir que dans une ville comme Paris, les stocks ne sont pas conçus pour durer au-delà de 48 heures", calcule-t-il. Sans fournitures, vous pouvez tout imaginer. Le retraité, il organise "tout en double".

«Mes plaques fonctionnent au gaz et à l'électricité. Pour l'énergie, j'ai des panneaux solaires, en plus de mes générateurs. Ma chaudière fonctionne au mazout – j'en stocke 2 000 litres – mais j'ai aussi ma cheminée », précise-t-il.

Coronavirus: "4 vaccins sont en cours de développement"

L'autre grande partie de sa préparation est de perfectionner ses compétences face à la nature. Savoir allumer un feu sans briquet, trouver ses repères, soigner ses blessures… Autant de connaissances qu'il juge potentiellement précieuses en cas de sinistre. Et qu'il a l'intention de se développer d'ici là.

Ce mercredi soir, il a invité deux amis qui partagent cet univers et ses préoccupations. Pascal et Gérard arborent fièrement leur veste aviateur ornée de badges militaires. Un couteau de combat orne leur ceinture.

Le premier, un bon gars avec une brosse rasée coupée sur les côtés, est un professeur de boxe de 50 ans. Le second, la soixantaine, n'a pas vraiment son âge: petit mais trapu, il a fait mille vies, voyagé dans 55 pays, traversé une bonne partie de l'Afrique à pied et se maintient visiblement en forme.

Le couteau de combat sur la ceinture, un élément essentiel de la survie. LP / Olivier Lejeune
Le couteau de combat sur la ceinture, un élément essentiel de la survie. LP / Olivier Lejeune

Les trois forment les "War Wolves". Tous sauveteurs et plus ou moins dans l'armée, ils organisent, avec d'autres passionnés, des cours pour apprendre les "fondamentaux de l'armée" dans un camp spécialement équipé de palettes, de pneus de tracteurs et de vieilles branches et fougères.

Loué par des comités d'entreprise avides de "team building" et de sensations fortes, le petit groupe a tenu un stand au deux premières éditions du Salon du survivalisme, en 2018 et 2019, à Paris. Une présence qui lui a valu un passage sur BFMTV et une interview moqueuse avec l'humoriste Guillaume Meurice, sur France Inter, dont il n'avait pas de ressentiment.

Ambiance camp scout

Autour d'un rougail de saucisses cuit sur une cuisinière à gaz, le trio prend plaisir à se souvenir de leurs derniers faits d'armes: sauts en parachute à basse altitude, effectués à l'étranger avec d'anciens soldats, et traversée d'une île en Thaïlande "en survie" mode ", c'est-à-dire sans autre nourriture que celle trouvée sur place.

Bière à la main, les manifestations s'enchaînent dans une ambiance de camp scout. Bruno mélange le maillet, la paille, l'écorce de bouleau et le "coton carbonisé" qu'il a obtenu "en mettant un t-shirt sur la cheminée dans une boîte métallique". A la moindre étincelle, une braise apparaît. Il ne reste plus qu'à souffler doucement pour attiser la flamme…

Au crépuscule, Gérard effectue son dernier tir à l'arc sur deux cibles positionnées dans le jardin. Ensuite, travaillez sur ses séquences de krav-maga, une technique d'autodéfense israélienne. Revers de la main dans la glotte, prise derrière la nuque et coup de genou dans le nez: c'est ainsi que vous battez un agresseur avec une machette. À réserver uniquement pour les cas d'urgence. "Dans un rayon de sept mètres, il est impossible de fuir", prévient Pascal.

Bruno essaie de faire des expéditions le plus souvent possible. LP / Olivier Lejeune
Bruno essaie de faire des expéditions le plus souvent possible. LP / Olivier Lejeune

A leur départ, Bruno prépare son sac à dos. Ce soir, il ne dormira pas avec sa femme, douteux de ses caprices, mais dans la forêt. L'occasion de mettre en pratique les techniques de survie qu'il puise dans des livres, magazines et vidéos mis en ligne, partagés sur YouTube, Facebook et des forums spécialisés.

"Ils n'ont jamais entendu les balles siffler"

Ce sont souvent de petites trouvailles, comme ouvrir une boîte de conserve sans ouvre-boîte ou utiliser du papier d'aluminium et une batterie pour créer des étincelles. Il gère lui-même sa page "Survie et Nature", sur laquelle il partage ses conseils et vise à organiser des stages.

Bruno se méfie néanmoins des «ados» et des «mythes» qui peuplent les réseaux sociaux. Ceux qui «ramassent des couteaux à la Rambo», quand les petites lames sont plus adaptées aux situations ingénieuses. "Ces gens, ils n'ont jamais entendu les balles siffler", rit-il. Il préfère les "gens sérieux", les "discrets".

Il faisait nuit noire lorsque, après un quart d'heure en voiture, "Shark" a commencé à grimper à travers les courts sentiers de randonnée qui serpentent sur une colline près de grands barrages. Il faut le voir courir en douceur sur ce sol rocailleux et dans la terre humide, éclairé par la seule lumière de la pleine lune et sa lampe frontale dans le froid de l'hiver.

Capable de marcher 20 heures en une seule fois

Le presque sexagénaire, de taille moyenne mais avec un corps musclé, ressemblerait presque à un homme d'action de chair et d'os. Pratiquant la course à pied, le tir, le ski de fond, le kayak, la plongée, le parapente et le canyoning, capable d'avaler 60 kilomètres en une seule fois, soit 21 heures de marche, il bivouaque au moins une fois par mois, sans compter les excursions plus longues.

Savoir allumer un feu sans allumette est l'un des gestes essentiels dans lesquels Bruno s'entraîne à chacun de ses bivouacs. LP / Olivier Lejeune
Savoir allumer un feu sans allumette est l'un des gestes essentiels dans lesquels Bruno s'entraîne à chacun de ses bivouacs. LP / Olivier Lejeune

Devant un feu de camp, cet aventurier brièvement passé par le programme «Wild», sur M 6, se confie plus longuement sur les raisons qui l'ont poussé à passer au survivalisme il y a quelques années. "J'ai compris que dans tous les domaines, nous sommes confrontés à une impasse", dit-il. Tout peut aller dans les cacahuètes. "

Pour justifier ses craintes, l'ancien policier évoque la loi de Murphy, un concept qui voudrait que le pire se produise toujours. Bruno suit énormément l'actualité, "celle des médias et celle des réseaux sociaux", précise-t-il avec un air de compréhension. Les conclusions qu'il en tire conduisent toujours à des réactions en chaîne effroyables, des engrenages désastreux dont l'humanité sort inévitablement vaincue.

Il y a d'abord le climat, les espèces qui disparaissent, les tempêtes et les sécheresses qui se multiplieraient à l'échelle mondiale. "Après l'ouragan de Saint-Martin ou celui de la Nouvelle-Orléans, on a pu voir des scènes de chaos, de pillages", se souvient-il. Dans des situations extrêmes, les gens peuvent tuer pour de la nourriture ou de l'eau. "

Risque nucléaire

Mais Bruno craint également une exposition au risque nucléaire. Il a mentionné les fuites de tritium récemment annoncées dans la centrale électrique du Tricastin. Dans le Haut-Rhin, celui de Fessenheim "continue de fonctionner" malgré son obsolescence et la présence de "failles sismiques" en France. "Nous n'avons rien pour remplacer les centrales", s'inquiète-t-il.

L'accident de l'usine Lubrizol, à Rouen (Seine-Maritime), la marque. "Si la même chose se produit dans le couloir de la chimie à Lyon … Ou même une attaque! Étouffe-t-il. Un RPG-7 (le nom d'un célèbre lance-grenades soviétique, ndlr) tiré depuis une camionnette et là-bas ne sont plus la vie à des kilomètres. "

Bruno imagine déjà devoir constituer une microsociété autonome. LP / Olivier Lejeune
Bruno imagine déjà devoir constituer une microsociété autonome. LP / Olivier Lejeune

Ses idées noires ne s'arrêtent pas là. UNE "Éruption solaire" pourrait "confondre tous nos systèmes électroniques", donc bancaires. Sur le plan international, les conflits entre «les Russes, les Américains, les Turcs et les Syriens» constitueraient un risque de guerre mondiale. En France, ce serait un «baril de poudre», lui-même «au bord de la guerre civile».

Ancien partisan de Marine Le Pen, l'ancien CRS se présente comme un simple gilet jaune "dégoûté de la politique". Cependant, son discours revient régulièrement sur «l'immigration massive», le «communautarisme» et les «islamistes» qui ont «des quartiers entiers entre leurs mains».

Au détour d'une phrase, il évoque la possibilité d'une main djihadiste derrière les incendies qui ont ravagé l'Australie, une théorie populaire sur les sites Web et les forums de conspiration. "Je suis anti-islam", affirme-t-il. Nos femmes ne peuvent plus marcher dans les rues. Nous sommes vissés à l'extérieur. "Il veut" protéger la terre "de ses" ancêtres ". Défendre sa famille, ses trois enfants et le bébé d'un an dont il est grand-père. Même si cela signifie prendre les armes.

"Si la monnaie s'effondre …"

Vient également l'hypothèse d'une crise économique. Le coronavirus, c'est aussi "l'industrie chinoise au point mort", note-t-il. De quoi craindre l'effondrement du commerce mondial, dans un contexte de «dette généralisée» et de croissance «artificielle». "Si la monnaie s'effondre, qu'est-ce qui va valoir quoi que ce soit?" il se demande. De l'or, de la pierre, de l'eau, puis des bougies, des piles, de l'essence … Et enfin des compétences. "

Bruno imagine déjà devoir constituer une microsociété autonome. "Pour survivre, vous devez organiser un réseau", a-t-il déclaré. Il a déjà identifié certains d'entre eux, parmi ses contacts, susceptibles de l'aider. Un mécanicien, un médecin, un charpentier …

"Prenez la série Walking Dead", dit-il. OK, on ​​parle de zombies. Mais si vous y réfléchissez, c'est une déréglementation de la société qui entraîne un changement de comportement, avec l'émergence de groupes rivaux. Nous ne sommes pas à l'abri de ce genre de troubles. "

VIDÉO. Conseils d'un survivaliste: "La planète se meurt, il faut se préparer"

Le calme revient progressivement. Bruno se glisse dans un sac de couchage abrité par une bâche tirée entre trois arbres, à peine protégé de la pluie et du vent par quelques branches de sapin dressées à ses côtés. Un fin tapis de terre l'isole de la terre glacée.

Le silence l'emporte, parsemé de bruits de gouttes s'écrasant contre la toile tendue. Avec lui, dors. Demain, le soleil se lèvera sur des collines verdoyantes entrecoupées de rivières. Pour Bruno, ce sera un nouveau jour. Un jour de moins avant l'apocalypse.