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Hydro-Québec va-t-elle manquer de jus ?

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Hydro-Québec va-t-elle manquer de jus ?

Si le grand plan annoncé par le gouvernement Legault concernant l'électrification des transports tient toutes ses promesses, le Québec aura besoin d'électricité. Même beaucoup d'électricité. Plus que sa production actuelle? Selon Hydro-Québec, il ne s'agit pas de produire plus, mais de mieux utiliser celle que nous produisons déjà. Et le meilleur outil pour changer les habitudes de consommation pourrait bien être de modifier … le mode de facturation du service.

D'ici 2030, Hydro-Québec est tranquille: la demande supplémentaire d'électrification (750 000 voitures électriques en 2030) sera compensée par des gains d'efficacité énergétique et l'introduction de panneaux solaires – présents dans 5% des foyers québécois en 2030, selon nous. C’est pour 2050 que ça devient plus difficile. Une étude du cabinet de conseil Dunsky Expertise energie, à Montréal, révèle qu'un ambitieux plan d'électrification nécessitera de 125 à 185 térawattheures (TWh) supplémentaires, ce qui doublerait la consommation électrique du Québec, soit environ 165 TWh par an. . Actuellement, Hydro-Québec est en excédent de production (le chiffre exact est gardé secret, mais il se situerait entre 10 et 30 TWh). Cependant, si elle réussit à signer ses contrats d'exportation vers le Massachusetts et New York, ceux-ci mobiliseront près de 20 TWh pendant 20 ans. Et Hydro-Québec cherche à ouvrir d'autres bourses pour exporter de l'électricité vers les Maritimes. En d'autres termes, nous ne devons pas trop compter sur les excédents courants.

Les Québécois devront repenser leur avenir électrique, car les vieilles recettes de 1990 ou 1960 sont terminées. Les mégacomplexes à prix d'aubaine (où la quantité d'énergie produite est telle que leur prix de revient au kilowattheure est très bas), comme ceux de la Baie James et de Manicouagan, voire de la Romaine, il y en aura plus: exploiter les grandes rivières inexploitées coûterait beaucoup plus cher par rapport à l'énergie qu'on en tirerait. L'énergie éolienne est une possibilité, mais il y a déjà 2 000 éoliennes au Québec: en voulons-nous 3, 5 ou 10 fois plus? En tout état de cause, le moindre projet de barrage ou de ligne fait désormais l'objet de conflits acharnés. «Il faudra obliger les Québécois à utiliser leur électricité différemment. Hydro-Québec ne veut pas finir par avoir besoin de quatre autres Baie-James », explique Dave Rhéaume, directeur principal des affaires réglementaires et de l'approvisionnement en électricité d'Hydro-Québec Distribution.

Les sociétés d'État sont confrontées à un défi beaucoup plus immédiat et presque permanent: tout en bénéficiant d'importants excédents énergétiques, elles souffrent depuis longtemps d'un grave problème d'alimentation.

En électricité, «énergie» et «puissance» ne sont pas synonymes: les deux mots décrivent des réalités très différentes. L'énergie est toute l'électricité que nous consommons (kilowattheures du compte Hydro). La puissance est la demande de consommation à un moment précis (mesurée en watts, kilowatts ou mégawatts). Lorsque tout le monde chauffe du 12 décembre à -25 ° C, avec des spas, des lumières de Noël et des refroidisseurs à vin connectés, la société d'État n'a pas suffisamment de turbines, de lignes et de transformateurs pour fournir les mégawatts requis – même si ses réservoirs débordent des térawattheures (énergie) .

Cette demande d'électricité ne diminuera pas en 2030, surtout si 750 000 automobilistes branchent simultanément leurs voitures électriques. Hydro-Québec aura alors besoin de 431 mégawatts (MW) de puissance additionnelle, l'équivalent de celle du barrage Péribonka. En 2050, cinq millions de véhicules électriques mobiliseront au moins l'équivalent de la puissance de l'ensemble du complexe romain. L'ajout de l'électrification des transports lourds doublera cela. Et donc mis trois, quatre ou cinq Romains de plus pour l'électrification du bâtiment et de l'industrie.

«La consommation d'électricité n'a pas beaucoup augmenté au Québec depuis 10 ans», explique Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire en gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal. Le «pic», d'autre part, ce moment où tout le monde branche beaucoup de choses en même temps, augmente considérablement, «parce que de plus en plus de gens branchent des appareils». Et la pointe est chère, car elle nécessite beaucoup d'équipement qui n'est presque pas utilisé la plupart du temps.

Au cours des dernières années, Hydro-Québec a mis en œuvre divers programmes visant à créer une marge de manœuvre. Le service Hilo, du nom de la filiale d'Hydro-Québec créée à l'automne 2019, permettra cette année d'installer des thermostats intelligents dans des résidences volontaires. En échange de certains bonus, Hilo peut contrôler à distance le chauffage des maisons ou la recharge des véhicules électriques, afin de répartir la consommation en dehors des heures de pointe (le matin de 6h à 9h et le soir de 17h à 20h) .

Pour chauffer des bâtiments non résidentiels, Hydro-Québec lancera un important programme d'accumulateurs thermiques centraux (ATC) en 2020. L'appareil ressemble à un chauffe-eau muni de vannes, mais il est rempli de briques qui distribuent la chaleur. «C'est moins sexy que les batteries électrochimiques, mais c'est beaucoup plus efficace et très rentable», explique Dave Rhéaume, d'Hydro-Québec Distribution. Nos clients commerciaux retrouveront leur investissement dans quelques années. "

Pour réduire les déchets et libérer les mégawatts nécessaires à l'électrification des transports et des bâtiments, l'outil le plus efficace pourrait bien être la réforme des prix. «Les tarifs intérieurs actuels, basés uniquement sur les kilowattheures, donc l'énergie, ne reflètent absolument pas le coût réel de l'électricité. Cela envoie un mauvais signal aux consommateurs», précise Pierre-Olivier Pineau.

Hydro-Québec et son seul actionnaire (l'État) hésitent à mettre le doigt dessus, car la question est hyper délicate au sein de la population. Certains disent: "Hydro-Québec a le mandat depuis 1944 de fournir de l'énergie au meilleur prix possible. Les autres répondent:" Oui, mais nous ne pouvons plus faire comme avant. Les abonnés doivent être rendus responsables. "

Dave Rhéaume estime qu'il faudra venir dire aux consommateurs que s'ils ne veulent pas de nouveaux barrages et de nouvelles lignées, ils devront être moins gourmands. «Si tout le monde consomme un peu moins d'énergie, cela donnera les meilleurs résultats. Hydro-Québec veut pouvoir mieux travailler, mais pour cela, il faudra les bons outils financiers et les bons outils de gestion», a-t-il dit.

Au cours des dernières années, Hydro-Québec et le gouvernement ont adopté des mesures qui rendraient la réforme tarifaire applicable. Les compteurs intelligents, qui ont remplacé les anciens compteurs de roue dans 98% des abonnés, peuvent mesurer la consommation d'énergie (kilowattheures), mais aussi la puissance (kilowatts). De plus, la loi 34 votée en décembre 2019 soustrait les tarifs d'Hydro-Québec au contrôle de la Régie de l'énergie jusqu'en 2025.

Marc-Antoine Pouliot, chef des affaires publiques et des médias à Hydro-Québec, précise néanmoins que ni la société d'État ni le gouvernement n'ont pour l'instant l'intention de lancer une réforme majeure du tarif résidentiel. «Ce n'est pas tant que nous allons introduire la tarification de l'électricité à nos abonnés résidentiels. Le problème pour nous, c'est que la Régie a dit non à bon nombre de nos projets de conversion de chauffage au mazout sous prétexte qu'elle doutait de la rentabilité de l'opération. 34 nous donnera plus de flexibilité, dit-il. Nous pouvons imaginer d'autres solutions dans le cadre du plan d'électrification du gouvernement. "

Bref, le sujet est brûlant et le cabinet du Premier ministre aura de quoi se chauffer pendant plusieurs hivers.

Heure de pointe

Actuellement, les quatre millions d'abonnés résidentiels (la moitié des ventes d'Hydro-Québec) paient leur électricité au tarif D, soit 6,08 ¢ le kilowattheure consommé (c'est l'énergie). Ce prix concerne la première tranche de 40 kWh par jour. Au-delà, le taux est 50% plus élevé, à 9,38 ¢ le kilowattheure. Cependant, il n'y a pas de tarification de l'électricité. Prenez un abonné qui vit dans une petite maison bien isolée et chauffée au bois avec des appareils au propane, qui utilise le réseau pour 5 000 watts (ou 5 kW). Il paie le même prix que l'abonné moyen, qui peut demander jusqu'à 17 000 watts, ou le grand abonné, qui possède une maison de 400 m2 chauffé électriquement, avec spa, bain à remous et deux congélateurs, dont la consommation peut atteindre 30 000 watts, voire 40 000 watts lorsque tout fonctionne en même temps.

Les 200 000 abonnés commerciaux et industriels d’Hydro-Québec paient séparément l’électricité et l’énergie. Cela les oblige à gérer leur «point d'utilisation» (puissance).

Pour les abonnés résidentiels, il existe deux façons de facturer l'électricité. Une pratique en Europe et en Ontario est d'appliquer un tarif différencié dans le temps: nous payons plus à certains moments (Hydro-Québec teste une tarification différenciée avec 20000 clients volontaires, une expérience autorisée par la Régie de l'énergie & l 39 ;l'année dernière). L'alternative la moins courante serait de tarifer selon la puissance maximale requise par l'abonné, comme c'est le cas en Italie ou avec les abonnés commerciaux ou industriels d'Hydro-Québec.

Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, est un ardent partisan d'une réforme des tarifs résidentiels qui introduirait un tarif d'électricité. "Ceux qui ne sont pas d'accord affirment que les consommateurs ne comprendraient pas la différence entre l'énergie et l'électricité. Alors voyons! Les Italiens introduisent depuis longtemps le tarif de l'électricité pour les abonnés résidentiels et ils semblent comprendre. Selon Pierre- Olivier Pineau, il serait simple de démontrer qu'un tarif unique basé sur l'énergie consommée (la pratique actuelle) revient à subventionner les gros consommateurs résidentiels au détriment des petits. Non seulement la tarification de l'électricité serait plus juste pour les petits abonnés, mais La filiale de Hilo serait en mesure de contrôler la consommation des clients afin qu'elle ne dépasse pas la puissance maximale que tout le monde est prêt à payer.