Énergie. Fessenheim, crash-test de la sortie du nucléaire
Sa mort clinique est annoncée pour ce samedi 22 février. En fait, les ingénieurs et techniciens prévoient de la déconnecter vendredi soir. Quoi qu'il en soit, l'arrêt du premier réacteur de Fessenheim, étape préalable à l'arrêt Conseil Chauffage de la centrale en juin, marque un tournant pour la France. Le doyen des centrales nucléaires va entrer dans l'histoire comme étant également le premier à avoir été fermé, en France, par choix politique.
Un prélude à la transition industrielle nationale
Avec lui, le pays nucléaire entame une révolution dans son mix électrique, dont Fessenheim n'est que le prélude. Douze autres réacteurs devraient fermer d'ici 2028. Aujourd'hui, représentant plus de 70% de la production électrique, l'atome ne devrait assurer que 50% d'ici 2035 (voir infographie ci-dessus). La nouveauté est telle que la presse internationale, depuis plusieurs jours, se précipite dans le village de 2 400 habitants, afin de scruter de plus près la manière dont la transition est gérée.
La France devra prouver qu'elle est capable de piloter une transition industrielle à l'échelle d'un territoire entier (lire ci-dessous). Il devra également démontrer qu'il est prêt à se passer de sa centrale électrique et de ses 1 800 mégawatts (MW) de production d'électricité, tout en garantissant l'approvisionnement du réseau, autant que sa transition bas carbone.
En novembre dernier, RTE (Réseau de transport d'électricité) a alerté: cumulatif avec la fermeture des dernières centrales au charbon, programmée pour la même période, et le retard que montre l'EPR de Flamanville, la fermeture de Fessenheim risque de générer des tensions sur le réseau à l'intérieur deux à trois ans, a indiqué le gestionnaire dans son diagnostic d'approvisionnement d'ici 2025. Entre 2022 et 2023, le développement prévu des énergies renouvelables "Ne suffit pas à compenser les fermetures effectuées", dit-il.
Virginie Neumayer, responsable de l’industrie nucléaire de la CGT, a indiqué qu’au vu des objectifs de transition, la sécurisation de l’approvisionnement en électricité est susceptible de se poser à plus long terme. " Si la France n'a pas connu de panne depuis 1978, c'est parce qu'elle a choisi d'installer des moyens de production maîtrisables en fonction de l'offre et de la demande, à savoir les centrales thermiques. et nucléaire"Rappelle le membre du syndicat." 1 ° C plus bas sur le thermomètre, ce qui équivaut à une demande de 2 400 mégawattheures de plus», Indique-t-elle pour illustrer les besoins fluctuants. Le remplacement progressif des centrales thermiques et nucléaires par des moyens intermittents tels que l'éolien ou le solaire risque de tout mettre en péril. " En cas de vague de froid, nous aurons des difficultés à répondre à la demande. Il est très probable, comme cela s'est déjà produit, que face à la réduction de l'offre, l'État mettra en place des mesures restrictives"Met en garde Virginie Neumayer. L'interruption de la fourniture d'électricité aux industriels sous contrat est sur la liste. De même"l'introduction d'un signal de hausse des prix pour inciter les utilisateurs à consommer moins"Conclut le membre du syndicat."Si nécessaire, nous serions loin de résoudre la situation des 13 millions de citoyens vivant dans la précarité énergétique. "
Anticiper la déréglementation du marché européen de l'électricité
Dans l'ensemble, l'ensemble de l'industrie nucléaire reste face à la fermeture d'une centrale électrique qu'elle estime scientifiquement injustifiée. Fruit d'un accord préélectoral en 2012 entre François Hollande et EELV, confirmé par Emmanuel Macron en 2018, l'abandon de Fessenheim ne repose sur aucun ordre de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), soulignent ses acteurs. La bataille contre le réchauffement climatique leur donne quelque chose à broyer.
Décarbonée, l'énergie nucléaire est un levier revendiqué pour réduire les émissions de CO2 liées à la production d'énergie. Dans son rapport publié en octobre 2018, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estimait que, pour contenir le réchauffement climatique à 1,5 ° C maximum, la part du nucléaire mondial devrait augmenter de plus de 50%, plus de 100% d'ici 2030, selon sur le scénario. La Société française de l'énergie nucléaire (Sfen), organisation qui regroupe tous les industriels du secteur, ne manque pas de l'utiliser.
Dans un article publié mercredi 19 février sur son site, Sfen assure que l'abandon de Fessenheim générera chaque année entre 6 et 10 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, soit "l'équivalent de 10-20% des émissions annuelles totales d'une région comme l'Ile-de-France". Pour arriver à ce calcul, l'organisation s'appuie sur … la déréglementation du marché européen de l'électricité."Pour répondre à une demande électrique donnée, les capacités de production d'électricité sont appelées par ordre d'augmentation des coûts variables"Explique Sfen. En d'autres termes, les opérateurs achètent d'abord le moins cher."En pratique, ces coûts correspondent principalement au prix du combustible (uranium, charbon, gaz, fioul) et au prix d'une tonne de CO2émis sur le marché européen«Continue Sfen. Dans ce jeu, les énergies renouvelables sont les plus avantageuses, seules elles produisent déjà au maximum de leurs capacités. Alors que le prix du marché européen par tonne de CO2 est faible, l'électricité produite à partir du gaz et du charbon est relativement bon marché. CQFD: en cas d'arrêt d'une centrale nucléaire, les opérateurs feront appel en priorité à l'énergie thermique.
Smoky, dit Greenpeace. "La production nucléaire a chuté l'année dernière et les émissions de CO2également dans le secteur électrique"A déclaré Alix Mazounie, chef de projet pour l'ONG. Quoi qu'il en soit, moins nous anticipons l'arrêt des réacteurs, plus nous serons contraints de dépendre du gaz et du charbon, poursuit Alix Mazounie, selon qui tous les leviers de la transition n'ont pas encore été opéré."RTE le dit aussi: il faut miser sur les économies d'énergie et la baisse de la consommation."Dans ce domaine, de nombreux gisements ne sont pas explorés, conclut le responsable de campagne, notamment du côté de la rénovation énergétique, des performances de chauffage ou de l'extinction des écrans publicitaires numériques. La France, qui ne prévoit pas de fermer le prochain réacteur avant 2026-2027, n'a que quelques années pour corriger cette lacune.