comment les villes se « protègent » des migrants
La ville de Calais est confrontée à la crise migratoire depuis plus de vingt ans. En conséquence, il s'est barricadé et protège ses installations portuaires et sa zone industrielle des Dunes de manière très impressionnante. La maire des Républicains de Calais, Natacha Bouchart, qui entre dans son troisième mandat, assume cette politique et défend les intérêts de ses concitoyens. Elle regrette le "troubles à l'ordre public"que génèrent les migrants. Les associations sont en difficulté. Utopia 56, l'une des associations hébergées par l'entrepôt de l'Auberge des migrants, organise depuis début mai une distribution quotidienne d'eau sur Grande-Synthe, la ville voisine. Plus de 3000 litres d'eau par jour, en ce mois d'août parfois torride! Mais le tour de ville commence d'abord par le port de Calais, que le journaliste de Calais Emmanuel Bouin ne reconnaît plus.
Les migrants sont revenus après le démantèlement de la «jungle»
L'épisode le plus marquant de ces années de crise migratoire a certainement été la constitution puis le démantèlement de la «jungle», qui avait également été qualifiée de «plus grand bidonville d'Europe». Vers l'automne 2016, il y avait probablement plus de 9 000 hommes, femmes et enfants dans ce camp totalement sous-dimensionné, qui s'étendait sur moins de 4 000 mètres carrés.
Les autorités ont décidé le 24 octobre 2016 de procéder à l'évacuation de cette «jungle». A l'époque, plus de 60 bus avaient été affrétés, rien que le premier jour, pour emmener les migrants dans les 280 centres d'accueil et d'orientation qui devaient leur permettre d'examiner leur situation administrative. Selon l'OFFI (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration), 42% de ceux qui ont ensuite tenté les procédures avaient obtenu l'asile ou une forme de protection subsidiaire, selon un rapport tiré de l'automne 2017. Mais une très grande partie de ces les étrangers sans papiers ne souhaitaient pas rester en France ou ne pouvaient pas répondre aux critères très stricts régissant le statut de réfugié. Beaucoup sont donc rentrés illégalement à Calais.
Aujourd'hui, un millier de migrants du Soudan, d'Érythrée, d'Irak, de Syrie, d'Afghanistan et de tant d'autres pays en souffrance errent dans Calais. C'est une estimation que les associations peuvent faire en raison du nombre de repas qu'elles doivent distribuer aux migrants.
Du côté de la mairie, l'objectif principal est de redonner l'image d'une ville "qui a beaucoup souffert", estime sa maire Natacha Bouchart, qui entame son troisième mandat. Calais et sa zone portuaire ont donc considérablement renforcé leur sécurité. Empêcher les candidats à l'exil de monter à bord des ferries qui rejoignent le port de Calais d'entrer dans le tunnel sous la Manche au risque de leur vivant ou se faufilant à l'arrière des camions rejoignant la Grande-Bretagne, plus de 50 kilomètres de clôtures de haute sécurité ont été érigées autour de la zone portuaire, comme à Coquelles autour des installations d'Eurotunnel. surmonté d'un double rouleau de barbelés, l'Europe a partiellement financé ces travaux, Londres a également déboursé des sommes importantes – 22 millions d'euros en 2016 notamment.
Clôtures de haute sécurité financées par la Grande-Bretagne
A Calais, après le démantèlement de la «jungle» il y a près de 4 ans, les migrants ne trouvaient plus de lieu fixe pour s'installer. Leurs campements de fortune continuent de bouger, en fonction des opérations policières. La police les déloge dès que les autorités locales les jugent trop nombreuses. Récemment, ils s'étaient réfugiés dans la zone industrielle des Dunes – leur nombre dépassait alors les 500 – et la police a procédé à une évacuation spectaculaire le vendredi 10 juillet.
Avec sa veste de marin bleu foncé et son visage patiné, Emmanuel Bouin est amoureux de Calais, sa ville natale. Journaliste indépendant, il est depuis longtemps correspondant de RTL dans la région et travaille fréquemment pour France Bleu Nord. En voiture, nous parcourons la zone portuaire et ses immenses clôtures blanches. Tout a tellement changé qu'il semble presque "une prison"déclare Emmanuel Bouin:
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Les clôtures de haute sécurité s'étendent sur des dizaines de kilomètres, précise Emmanuel.
Un peu plus loin sur stand d'immenses murs en béton armé surmontés de plusieurs caméras de surveillance. Lorsque vous vous promenez dans le bâtiment, le logo d'une station-service apparaît. Les lieux évoquent vraiment une zone de guerre. Ce sont les gérants de la station qui l'ont transformée en bunker, explique Emmanuel Bouin:
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Tout est fait pour empêcher les migrants de s'installer et de monter dans les camions, détaille Emmanuel Bouin
«Pour le moment, les migrants ne doivent pas atterrir, alors on les chasse, quoi, on les empêche d’accéder. Et là, c’est le summum, c’est la station-service Conseil Chauffage. La station-service en avait marre d’être attaquée, Ils ont dit, construisons le mur nous-mêmes. C'est un mur de béton de près de dix mètres de haut et il y a des caméras partout. "
Malgré ces clôtures et murs, malgré ces évacuations incessantes, les étrangers clandestins sont encore très nombreux sur la côte. Un an après le démantèlement de la «jungle», les associations dénombrent 700 migrants dans la ville. Aujourd'hui, ils seraient entre 1000 et 1200. L'estimation provient de François Guennoc, le président de l'Auberge des migrants, qui est basée sur le nombre de repas distribués.
Cette association, qui se décrit comme un "parapluie" rassemble dans son immense entrepôt, sept autres associations et collectifs qui se partagent la distribution de repas, eau, vêtements, bois de chauffage en hiver, accès. information ou aide pour les femmes enceintes et les femmes avec de jeunes enfants. Les quelques employés et les nombreux bénévoles qui travaillent dans cette ruche humanitaire bénéficient du soutien juridique et logistique du Migrant Hostel, parfois aussi de son financement et de celui de Help Refugees, une association britannique.
"Notre record est de 3 870 litres d'eau en une journée"
Laure Pichot coordonne les travaux de l'association Utopia 56 sur le territoire de Grande-Synthe, à une trentaine de kilomètres à l'est de Calais, sur la côte. Dans cette petite ville, les migrants sont également arrivés en grand nombre. Ainsi, en mars 2016, lorsque l'ancien maire écologique Damien Carême a voulu les accueillir sans condition, un camp humanitaire aux normes internationales a été construit. Et plus de 1 500 personnes y ont trouvé refuge. Mais les choses ont mal tourné et après un incendie criminel, la structure a dû fermer. Aujourd'hui, on estime qu'environ 400 personnes se sont réinstallées, principalement dans le bois de Puythouck.
Laure a également longtemps travaillé à Calais dans la même association Utopia 56. Elle rappelle que les situations entre les deux villes sont différentes. A Calais, il existe quelques points d'eau et distributions de vivres, assurés par des associations qui travaillent pour le compte de l'Etat. A Grande-Synthe, il n'y a pratiquement rien qui affirme cette militante. Elle avance également une explication: en juin 2017 au moins onze associations ont fait appel au Conseil d'État pour alerter les tribunaux sur les conditions déplorables dans lesquelles vivaient les migrants: «Au manque Conseil Chauffage de soins de santé et de protection sociale». 39; ajouter une pression policière constante et un harcèlement destiné, selon les autorités, à éviter tout point d'attache », Dénonçaient à l'époque les associations dans un communiqué. Ils ont obtenu fin juillet une victoire qui est toujours marquante. Mais cela explique peut-être, selon Laure Pichot, pourquoi la situation des migrants diffère d'une commune à l'autre:
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A Grande-Synthe, les migrants n'ont pas accès à l'eau, même si l'Etat devrait la fournir, explique Laure Pichot
À Grande Synthe, il n'y a qu'un seul robinet, situé à 1,5 km ou parfois 3,5 km du lieu de résidence. Il n'y a pas de douches, pas de toilettes, pas de distribution de nourriture organisée par l'État. La seule association mandatée par la préfecture est l'AFEJI (…) à Grande-Synthe, elles ont un double mandat, un mandat préfectoral pour organiser l'hébergement des adultes (les inviter à rejoindre les centres d'accueil de la région) et un département départemental mandat, à travers l'assistance sociale aux enfants qui leur donne mandat de rencontrer des mineurs non accompagnés.
Le Conseil d'État ordonne la mise à disposition de points d'eau et de restauration
Comme l'explique ce militant, la justice a ordonné aux autorités locales, municipales et préfectorales d'agir en faveur des migrants. le décision numéro N ° 412125, 412171 du Conseil d'État, publié le 31 juillet 2017 est formel. Voici un extrait ci-dessous, qui permet de s'assurer de ce qui a été dit par les tribunaux:
Le Conseil d'État statuant sur les litiges (Section du contentieux, 6e chambre) décide (…)
à titre subsidiaire, pour commander le _Préfet du Pas-de-Calais et commune de Calais_, premièrement, pour désigner un endroit dans lequel les personnes qui n'ont pas eu accès à un hébergement d'urgence et au système de refuge de common law pourra accéder aux douches et toilettes et pourra se faire distribuer des repas ; deuxièmement, procéder à l'ouverture de centres de distribution alimentaire dans tout Calaisis ; troisièmement, autoriser l'accès à ces centres ainsi qu'à tous les dispositifs demandés, aux associations requérantes, à d'autres associations ainsi qu'à toute personne; quatrièmement, pour mettre en place tout du territoire de la commune de Calais points d'eau potable ; cinquièmement, créer des latrines gratuites sur le territoire de la commune de Calais; sixièmement, mettre en place un ou plusieurs dispositifs permettant à tous les sans-abri, de nationalité française ou étrangère, qui se trouvent sur le territoire de la commune de Calais, de prendre une douche tous les jours.
Natacha Bouchart défend la «tranquillité» de ses citoyens
Pour Natacha Bouchart, la maire de Calais, la ville ne peut plus aider les migrants L'élue explique qu'elle a tout essayé par le passé, sans succès. Maintenant : "toute responsabilité incombe aux autorités de l'État"Et"en termes d'hygiène, de douche ou de distribution de repas ", c'est à la préfecture d'agir et non à la commune. Elle assume également sa volonté d'éloigner les migrants afin d'agir pour les Calaisiens qui souffrent de leur présence et qui devraient comme tous les citoyens "ont le droit de vivre dans une tranquillité permanenteC'est précisément ainsi que Natacha Bouchard défend sa position:
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La ville ne fait plus rien car elle a tout essayé, assume essentiellement Natacha Bouchard
On a essayé plusieurs appareils et en fait on s'est rendu compte que dès qu'on a malheureusement mis ces places à la disposition de personnes qui ne demandent rien à la France, on crée en fait un appel à air. Et nous ne pouvons pas nous retrouver dans la situation de 2016 où des camps de près de 10000 personnes s'étaient installés dans une ville à côté d'une ville.
Le 20 août, une dizaine d'associations dont l'Auberge des migrants, le Secours Catholique, Utopia 56, La Cabane Juridique, ont saisi le défenseur des droits pour mettre en garde contre "les conditions de vie" "inhumain" exilés ". Bien sûr, les conditions dans lesquelles vivent les exilés sont"indigne depuis longtemps", mais il est clair que"depuis la fin de l'état d'urgence sanitaire " et "la nomination de Gérald Darmanin à la tête du ministère de l'Intérieur", la situation des exilés à Calais "s'est seulement détérioré», dénoncent les associations dans un communiqué.
Distribution de repas empêchée par la police
À l'entrepôt de l'Auberge des migrants, Laure montre fièrement un stock de jerricans provenant d'un don. Il y a des dizaines de bidons que l'association Utopia 56 désinfecte afin de pouvoir les réutiliser.
Ils servaient à stocker du liquide pour les cigarettes électroniques et permettront bientôt aux exilés d'avoir des contenants propres pour amener l'eau près de leurs tentes. À Grande-Synthe, où l'association se rend tous les jours avec son camion de distribution d'eau, les gens font la queue pendant des heures pour remplir leurs bouteilles, se laver les cheveux et faire la vaisselle par terre. L'association a donc dû réfléchir à une stratégie pour distribuer ces précieux jerricans aux exilés démunis, détaille Laure Pichot.
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Des migrants arrivent avec des caddies de supermarchés pour remplir des bouteilles souvent sales, déplore Laure Pichot
C'est une logistique spécifique, la distribution de jerrycans car c'est une denrée extrêmement précieuse quand on n'a pas accès à l'eau et que l'on vit dans une pauvreté totale. Pour boire, mais aussi pour laver, cuisiner, faire la vaisselle, laver vos vêtements (…) nous avons beaucoup réfléchi à la façon dont nous allons faire cette distribution car nous avons 330 canettes pour environ 400 migrants. (…) Evidemment les critères de vulnérabilité, parce que nous sommes obligés de fonctionner par critère de vulnérabilité, ne sont pas les mêmes qu'il s'agisse d'une famille, d'un homme seul ou d'un mineur isolé. "
L'association Utopia 56 n'est pas la seule à travailler sur le terrain, loin de là. Dans l'entrepôt, nous rencontrons des jeunes britanniques de Collectif alimentaire de Calais, un très jeune collectif qui a décidé pendant la détention qu'il fallait aussi offrir aux migrants autre chose que des repas chauds. L'idée est de proposer des aliments secs ou froids qui permettent aux exilés de cuisiner et de retrouver un peu de dignité, analyse Laure Pichot. Il se trouve que ce soir-là, la distribution du repas par le Collectif alimentaire de Calais a été interrompue sur la place devant la gare de Calais, par la police:
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La police est intervenue devant la gare pour décourager une distribution, précise Laure Pichot
Rory est un jeune volontaire britannique du Calais Food Collective. Il raconte comment la distribution de vivres qu'il allait assurer ce soir, dans la commune de Grande-Synthe, a été stoppée par l'intervention de la police. Les agents lui ont demandé ses papiers et lui ont ordonné de partir sous prétexte que son camion se trouvait dans une zone privée. Récit:
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La police a demandé aux volontaires leurs papiers et leur a demandé de quitter la zone, dit Rory
Le maire de Calais répond à Boris Johnson
Pour Natacha Bouchart, la présence de migrants sur le sol calaisien s'explique en grande partie par la politique migratoire pratiquée en Grande-Bretagne. Alors que le gouvernement de Boris Johnson a récemment convoqué aux autorités françaises de ne plus laisser les migrants traverser la Manche, la maire de Calais dit qu'elle n'a plus de leçons à recevoir de personne:
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La Grande-Bretagne devrait d'abord changer sa politique migratoire, déclare Natacha Bouchart