Cellules solaires à hétérojonction : l’émergence d’une filière européenne prometteuse
Haute efficacité, fabrication simplifiée, rapide et moins énergivore, meilleure tenue en température: l'hétérojonction des cellules photovoltaïques confirme son potentiel. Il y a quelques jours, des lots de cellules solaires à hétérojonction en silicium, avec une efficacité record de 24%, ont été produits à grande vitesse. Cette performance est à la base de l'espoir d'une industrialisation à venir et de l'émergence d'un nouveau secteur industriel de l'énergie solaire en Europe.
Un nouveau record vient d'être battu dans la course à l'industrialisation des cellules photovoltaïques basées sur la technologie des hétérojonctions au silicium. Alors que les cellules photovoltaïques du marché ont un rendement de conversion de l'énergie solaire de 19 à 20%, les équipes du Liten (laboratoire du CEA) ont réussi à produire à la sortie d'une ligne pilote, des cellules affichant un rendement de 24%. Un résultat mesuré sur toute la surface des cellules de taille industrielle (244 cm2).
En termes de puissance nominale, les performances sont également exceptionnelles: les chercheurs ont mesuré sur une surface comprenant 120 demi-cellules, une puissance de 348 W contre 320 W, au mieux, sur des cellules produites avec des méthodes conventionnelles.
Le Liten, qui travaille au développement de la technologie depuis une quinzaine d'années, fabrique ces cellules avec des équipements industriels, à raison de 2 400 pièces par heure.
Ces résultats ont été obtenus dans des conditions certifiées comparables à celles des opérations commerciales. En effet, les cellules testées sont fabriquées sur la ligne pilote du CEA, installée à l'Institut national de l'énergie solaire (Ines). Ils ont ensuite été assemblés en modules avec les équipements industriels de la société Meyer Burger.
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Fabrication simplifiée, rapide et moins énergivore
L'hétérojonction consiste à mettre en contact différents matériaux (silicium monocristallin et silicium amorphe) contrairement à l'homojonction conventionnelle qui n'utilise qu'un seul matériau (silicium monocristallin ou amorphe).
L'ajout de couches de silicium amorphe d'une dizaine de nanomètres d'épaisseur, des deux côtés du silicium monocristallin, favorise l'attraction des électrons vers les zones de collecte. Ces couches sont elles-mêmes recouvertes d'un oxyde transparent et conducteur qui facilite le transport latéral des électrons et améliore le confinement optique des photons.
Les surfaces actives de la cellule sont texturées: des pyramides micrométriques permettent de piéger les photons qui rebondissent sur leurs faces, de capturer jusqu'à deux fois plus qu'avec une surface plane.
Les étapes de fabrication sont limitées et simplifiées, leur nombre passe de 21 dans le cycle de production traditionnel des cellules photovoltaïques à moins de 10: gravure par bain chimique pour former les pyramides sur les "wafers"(1), nettoyage et dépôt plasma de couches nanométriques de silicium amorphe. Il reste alors à déposer l'oxyde conducteur transparent des deux côtés et à sérigraphier un motif de lignes métalliques pour la collecte des charges électriques.
Les cellules ainsi produites sont symétriques et permettent de capter l'énergie des deux côtés. L'amélioration des rayons réfléchis à l'arrière des modules améliore ainsi l'efficacité de 8 à 15%. " Les panneaux placés verticalement et orientés est-ouest pourraient ainsi bénéficier de deux pics de production, à 10h et 16h. "Explique Charles Roux, chef du laboratoire CEA-Ines dans les colonnes batiactu. Cela aurait l'avantage de lisser la production des installations posées au sol ou sur les toits et orientées au sud, dont la puissance maximale culmine vers midi. Le décalage faciliterait la gestion du réseau et permettrait aux ménages disposant d'une installation solaire de produire plus d'électricité le matin et en fin d'après-midi alors qu'ils utilisent généralement plus.
De nombreux avantages
Lorsque la température augmente, les cellules à hétérojonction sont également plus efficaces qu'une cellule conventionnelle: elles ne perdent que 0,25% par degré contre 0,35% pour une cellule standard. D'où de meilleures performances en été et par temps chaud, lorsque les panneaux sont particulièrement sollicités.
Le processus de fabrication nécessite une température de l'ordre de 200 ° C, ce qui est bien inférieur aux procédés conventionnellement utilisés pour la fabrication des cellules photovoltaïques actuellement sur le marché, qui comprennent des étapes où les températures sont élevées à plus de 400 ° C ou même 800 à 850 ° C à certains moments. L'économie d'énergie lors de la production de cellules à hétérojonction permet donc de réduire considérablement leur empreinte carbone ainsi que leur TRE (taux de retour d'énergie)(2).
Autre avantage: l'hétérojonction peut être associée à d'autres nouvelles technologies prometteuses comme les cellules pérovskites, dont la structure cristalline spécifique permet de capter les rayons ultraviolets et le début du spectre visible. L'hétérojonction exploitant la lumière visible et l'infrarouge, le couplage des deux technologies permettrait un retour de 32%!
L'industrialisation en vue
La technologie des hétérojonctions pourrait rapidement devenir compétitive si elle était exploitée à grande échelle. Il a déjà été adopté dans deux projets industriels européens. Une filiale d'Enel, le plus grand producteur d'électricité en Italie, a investi l'an dernier 100 millions d'euros dans son usine de panneaux photovoltaïques située à Catane (Sicile) pour en faire le premier site de production de cellules en hétérojonction.
En France, Recom-Sillia, probablement le plus grand acteur européen de l'industrie solaire, prévoit de construire une gigafactory à Lyon vers 2020, la production annuelle de panneaux photovoltaïques à hétérojonction sera comptabilisée en gigawatts.
Ces deux exemples permettent de rêver à l'émergence d'une industrie européenne pariant sur l'hétérojonction pour concurrencer les industriels chinois. " Nous vivons une percée technologique "A confié Florence Lambert, directrice du CEA-Liten à nos confrères écologistes." Les technologies chinoises ont atteint un pic d'efficacité et deviennent de moins en moins rentables. Cependant, l'Europe parie depuis plus de 10 ans sur des technologies émergentes qui deviennent matures et prêtes pour la phase d'industrialisation. ".
(1) En électronique, nous appelons "wafer" (une plaquette) une tranche ou plaque très mince de matériau semi-conducteur monocristallin
(2) Le TRE est le rapport de l'énergie utilisable produite à partir d'une source d'énergie donnée, par rapport à la quantité d'énergie dépensée pour obtenir cette énergie