Décarbonation de l’économie : à quoi notre quotidien va-t-il ressembler ?
Décarboniser l'économie, réduire les gaz à effet de serre (GeS), promouvoir l'économie circulaire. Injonctions que vous entendez dès le plus jeune âge (enfin, si vous êtes né après les années 60). Alors pourquoi nous vous en parlons pour la énième fois aujourd'hui? De nombreuses raisons. Petit 1: la décarbonisation de l'économie est encore indispensable pour faire face au réchauffement climatique, et la baisse des émissions de GeS due au confinement de la moitié de l'humanité est loin d'être suffisante.
Petit 2: contrairement aux années précédentes, ce n'est plus seulement un slogan de militants et associations écologistes. La décarbonisation est devenue un élément de communication pour les responsables politiques, au premier rang desquels Bruno Le Maire, ministre de l'économie française. Dans un livre publié le 4 mai, le patron de Bercy écrit: "A nous d'accélérer la transition écologique pour faire de notre économie la première économie bas carbone de la planète". Encore mieux: le Green Deal de la Commission européenne, adopté en décembre dernier, fixe l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050.
La décarbonisation de l'économie française est notre objectif. Des discussions très positives cet après-midi avec le Haut Conseil du Climat pour accélérer la transition écologique de notre outil productif. pic.twitter.com/eDZx3Teko5
– Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) 6 mai 2020
Et enfin petit 3: lors du confinement, les différents gouvernements ont montré pour la première fois qu'ils étaient prêts – face à des circonstances exceptionnelles – à faire passer la santé avant l'économie. Ce fait sans précédent dans l'histoire récente préfigure-t-il les décisions qu'ils prendront face au changement climatique? En attendant les réponses à ces questions, cet article vous aidera à comprendre à quoi ressemblera la France bas carbone si ce gouvernement et les suivants (réels) s'efforcent de décarboniser notre quotidien.
La crise des coronavirus, une répétition générale avant la lutte contre le réchauffement climatique
Le confinement a fermé la plupart des économies mondialisées. Une étude publiée le 19 mai dans la revue Nature Climate Change souligne que les émissions mondiales devraient baisser de 4 à 7% en 2020. Une baisse historique depuis la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, il n'y a rien à redire. Premièrement, cet automne est cyclique. Deuxièmement, il est totalement insuffisant pour maintenir le réchauffement nettement en dessous de 2 ° C. "Réduire les émissions de GeS de 80% d'ici 2050 imposerait une récession mondiale de Covid-19 tous les deux ans d'ici 2050", a déclaré Jacques Delpha, directeur du think tank Asterion. . Cette situation étant aussi peu concevable que souhaitable, les experts recommandent une transformation radicale de notre société.
En 2018, l'empreinte carbone française (10,8 tonnes de CO2 eq / habitant) est légèrement supérieure à celle de 1995 et est restée plus ou moins constante depuis 2000. Elle doit chuter à 2 tonnes de CO2 par an pour être compatible avec l'Accord de Paris .
Alors, comment y allez-vous? Avant de se poser la question de ce que l'Etat français, l'Europe ou les entreprises peuvent faire, chacun peut commencer par décarboniser son quotidien. Toute une série de «petits gestes» sont nécessaires pour réussir à réduire notre empreinte carbone de 80% en 30 ans. La plupart des impacts individuels concerneront la nourriture et la mobilité.
Le régime végétarien: 40% de vos efforts
Carnivores, cette partie de l'article est pour vous. La plupart de l'impact individuel provient de l'adoption d'un régime végétarien. Saviez-vous que nos terres agricoles sont davantage utilisées pour cultiver des aliments pour le bétail que les nôtres? Selon la firme de recherche Carbone 4, arrêter de manger de la viande représente 40% de la réduction maximale de CO2 qui ne peut être obtenue que par nos changements de comportement individuel (et non collectif). De plus, notre alimentation décarbonée devra être de plus en plus sur un court-circuit (même si cette mesure a un impact significativement moindre que le régime végétarien).
La mobilité est l'autre domaine où vous pouvez enregistrer votre compte carbone. Les pistes sont désormais connues: utiliser un vélo pour de courts trajets (avec un objectif de 12% de ces déplacements en 2030, et 15% en 2050 selon le gouvernement) et utiliser le covoiturage pour tout le reste. Limitez autant que possible en avion.
Il existe d'autres "petites choses" comme éviter l'achat de nouveaux vêtements ou adopter zéro déchet, mais l'impact de ces mesures est encore limité. Prenons l'exemple de l'hébergement: abaisser votre thermostat de chauffage et installer des lampes LED représente une réduction de «seulement» 7% du Conseil Chauffage de votre diminution maximale possible (contre 40% pour le régime végétarien), même si l'hébergement est l'un des deux secteurs les plus émetteurs de GeS.
Preuve s'il faut que l'action purement individuelle ne suffise pas à décarboniser notre quotidien: Carbone 4 prétend qu'elle ne représente qu'un quart de la tâche à accomplir pour atteindre lesdits objectifs mentionnés ci-dessus. Une part importante de la réduction imputable au comportement individuel des Français se fera en réalité au niveau collectif, par l'action de votre ménage ou de votre copropriété. Les logements économes en énergie passeront en grande partie par l'installation d'une pompe à chaleur ou le raccordement aux réseaux de chauffage urbain (en contrepartie de l'abandon de la chaudière fioul ou gaz) et la rénovation du bâtiment. Une maison avec une voiture réduira son empreinte de transport si et seulement si les membres de la famille acceptent d'acheter une voiture à faible émission de carbone.
Au Conseil Chauffage, si l'on ajoute les «petits gestes» individuels (mais non moins héroïques!) À l'action de groupes d'individus, les Français contrôlent plus de 45% selon Carbone 4 de leur empreinte carbone. Les autorités sont responsables de la majorité de la baisse des émissions de GeS.
Il est dangereusement contre-productif de prétendre résoudre la question climatique en ne reposant l'exclusivité de l'action que sur les individus
L'enjeu passe par des réglementations et des incitations fiscales pour investir dans des secteurs bas carbone au détriment des actifs dits polluants, en formant ses responsables aux enjeux climatiques, ou en conditionnant si nécessaire les accords commerciaux sur le climat, conseille Carbone 4. «Il est il est donc vain, voire dangereusement contre-productif, de prétendre résoudre le problème climatique en faisant reposer l'exclusivité de l'action uniquement sur les individus », peut-on lire dans leur rapport.
On voit dans le graphique ci-dessous qu'une part importante du GeS passe en incitant aux investissements «verts» des ménages (les récentes annonces en faveur de la mise au rebut des primes pour l'achat de véhicules propres vont dans ce sens) ou des entreprises dans la décarbonisation du processus de fabrication des véhicules.
Rappelons que le secteur des transports est aujourd'hui le premier secteur émetteur de GeS en France (30%, selon le ministère de l'Écologie). La stratégie du gouvernement vise à décarboner complètement les transports d'ici 2050, ce qui impliquera un changement des moyens énergétiques. «Cela suppose une baisse annuelle moyenne des émissions de 3,8 Mt éq CO2 / an entre 2015 et 2050, alors qu'en moyenne annuelle, celles-ci n'ont diminué que de 0,8 Mt éq CO2 / an sur la période la plus récente 2005-2015», souligne le synthèse de la stratégie nationale bas carbone du gouvernement, équivalente à l'empreinte carbone de 350 000 Français (par an).
Concrètement, l'objectif est de commercialiser davantage de voitures électriques mais aussi des véhicules économiques consommant 2L / 100km pour les plus légers, et une baisse de 40% pour les poids lourds.
Mettre fin à la plupart des routes aériennes intérieures
Le véhicule lui-même n'est pas le seul moyen d'économiser de l'argent, explique The Shift Project, un groupe de réflexion qui travaille à décarboniser l'économie. Il doit également passer par une réduction du nombre de kilomètres parcourus. Les téléconférences qui se sont développées avec confinement sont une arme formidable pour éviter de se précipiter. De plus, des règles établissant une réduction de la vitesse et des voies de covoiturage sur les autoroutes sont des pistes qui devront être développées pour réduire l'empreinte carbone.
Le secteur de l'aviation sera également radicalement remanié. Le groupe de réflexion fait campagne pour une réduction du nombre de sièges dans les avions de classe supérieure. Ils ont plus d'espace, ce qui réduit le nombre de passagers à bord. La décarbonisation devrait également avoir lieu sur les opérations au sol, notamment en assurant la majorité du roulage par les tracteurs électriques. Rappelons que l'utilisation de réacteurs d'avion pour les manœuvres sur pistes est très inefficace d'un point de vue énergétique.
Surtout, les ONG font pression pour supprimer les liaisons aériennes domestiques d'ici la fin de 2022 où l'alternative ferroviaire est satisfaisante. Le projet Shift affirme qu'en France, pour un même trajet, un trajet en train émet en moyenne près de 40 fois moins de CO2 qu'un trajet en avion. Air France vient d'annoncer une réduction de 40% de ses vols intérieurs, alors qu'une alternative de moins de 2,5 heures en train existe. Une décision qui répond aux attentes du gouvernement, qui avait conditionné son aide de 7 milliards d'euros à cette considération environnementale.
Le gouvernement veut également croire au développement de réacteurs écologiques, faisant la part belle aux biocarburants (50% en 2050), et aux avions à hydrogène ou à propulsion électrique.
Nos importations ajoutent à notre empreinte carbone
Pour réduire l'empreinte carbone des Français (qui est 1,8 fois supérieure aux émissions du territoire "France"), il faudra réduire la consommation de biens et services, qu'ils soient produits sur le sol national ou importés. Cela impliquera de contrôler la teneur en carbone des produits à importer. Tous les experts s'accordent à dire qu'une telle réforme qui pourrait prendre la forme d'une "taxe carbone" ne sera pertinente qu'au niveau européen.
L'ingéniosité de l'industrie française (qui représentait 18% des émissions nationales de GeS en 2015) sera également mise à contribution. Des voix s'élèveront pour expliquer que l'industrie a déjà considérablement réduit les émissions de GeS ces dernières années. Les chiffres leur donneront raison, mais à y regarder de plus près, une partie peut s'expliquer par des délocalisations industrielles hors du territoire, ce qui explique pourquoi l'empreinte carbone française n'a pas été réduite.
Pour réduire la demande de ce matériau, l'économie circulaire devrait augmenter d'échelle, ce qui aura le double avantage de réduire en même temps la quantité de déchets. L'objectif du gouvernement est de réduire de 20% la production de déchets par habitant d'ici 2050, «en empêchant la génération de déchets dès la phase de conception chez les producteurs, notamment via l'éco-conception (limitation des emballages, durée de vie et réparabilité des produits). …) »Peut être lu dans la stratégie nationale du gouvernement. Parmi les mesures pour y parvenir, on note la généralisation de la collecte des déchets organiques. Objectif: réduire de 90% les déchets mis en décharge (ceux qui n'ont pas pu être traités) d'ici 2035.
L'énergie nucléaire: décarbonée, controversée et en déclin
Malgré tous ces changements, la décarbonisation de l'économie ne pourra ignorer la production d'énergie. Le gouvernement prévoit de la décarboniser d'ici 2050 avec une utilisation accrue de la biomasse (chaleur de l'environnement) et de l'électricité décarbonée. En cela, la France est loin d'être un mauvais élève. La part de l'énergie nucléaire (largement décarbonée) dans le mix énergétique français a atteint 72% en 2019 (un record mondial) mais devrait baisser à 50% d'ici 2035 pour favoriser des modes de production moins controversés.
Construction et technologie numérique au régime
La décarbonisation se reflétera également dans l'aménagement de nos paysages urbains et ruraux. La France affirme vouloir suivre une trajectoire d'artificialisation nette nulle des sols pour maintenir la végétation (puits de carbone) et la biodiversité. Concrètement, il ne devrait plus être possible sur notre territoire de grignoter des zones agricoles, naturelles et forestières, ou de drainer des zones humides. Voilà pour la stratégie nationale. Le projet Shift va plus loin: «arrêter la construction de maisons individuelles en dehors de la démolition et de la reconstruction et augmenter les matériaux en bois dans la construction et la rénovation».
Le carbone n'est pas seulement caché dans le paysage. C'est aussi dans les nuages du «nuage». Le numérique est une source de programmation de plus en plus importante. Cela représenterait, via l'énorme consommation des datacenters, 4% des émissions de GeS selon The Shift Project. Récemment son président, Jean-Marc Jancovici, l'un des champions de la décarbonisation, a salué sur LinkedIn que Bouygues Telecom appelle à un report de la vente aux enchères 5G et donc de son déploiement sur le territoire national, arguant qu'il ne le fait pas ce n'est pas une urgence dans le contexte actuel. "J'espère que cet appel à mettre nos priorités dans le bon ordre sera entendu", a-t-il écrit.
Autres problèmes invisibles: nos économies. Cette source de CO2 est souvent négligée. «À votre insu, vous financez les énergies fossiles», explique François Gemenne, chercheur et spécialiste de la géopolitique environnementale. Maintenant que l'emprisonnement est terminé, il vous conseille de prendre rendez-vous avec votre banquier et de demander exactement où est placé votre argent. A noter que les fonds «verts» augmentent dans le monde, en particulier en Europe. Mais si ce marché est dynamique, les fonds verts restent marginaux. Il y a moins de 1% des actifs secondaires en circulation et 6,5% pour les non-parties.
Mettre fin à la primauté de l'indicateur du PIB
Tous ces changements devraient sevrer notre société de sa dépendance au carbone. Mais ils risqueraient de ne jamais voir le jour si nos indicateurs de richesse ne changent pas, avance Bettina Laville, présidente du Comité 21 qui accompagne les organisations dans la mise en œuvre du développement durable. "Nous parlons de différents indicateurs de bien-être depuis des lustres!" celui qui a dirigé les négociations pour la France lors de la Convention de Rio sur le climat en 1992 a prévalu. «Tant que les chefs d'entreprise ne les prendront pas en compte dans les résultats comptables et que les chefs d'État ne les utiliseront pas, ils n'auront aucun effet sur la décarbonatation. »Elle préconise l'intégration d'externalités environnementales négatives dans les prix du marché. "Ce n'est qu'alors qu'il deviendra intéressant de renoncer au charbon." Il y a encore un long chemin à parcourir.
Pour ce marathonien des discussions internationales, le temps doit encore être optimiste. «Le fait que le gouvernement ait néanmoins publié sa stratégie nationale bas carbone au cœur de la crise de Covid-19 montre qu'il y a un réel intérêt pour ces sujets et qu'il n'y aura pas de régression sur les politiques environnementales», espère-t-elle. "Surtout, l'atmosphère n'est plus climato-sceptique", a-t-elle déclaré, contrairement aux années 1990, où même parmi les scientifiques les plus écoutés, il y avait des doutes. "